Critique : Les Flics ne dorment pas la nuit – Night Call

Affiche peinte du film "Les Flics ne dorment pas la nuit", sur laquelle on voit en action les deux policiers incarnés par George C. Scott et Stacy Keach.

Cinéaste extrêmement prolifique entre les années 40 et 80, Richard Fleischer fait partie de ces réalisateurs américains injustement oubliés. Si ses derniers films (Conan le destructeur, Kalidor) ne jouent pas vraiment en sa faveur, le metteur en scène est à l’origine de nombreuses perles, parmi lesquelles 20 000 lieues sous les mers, Les Vikings et Soleil vert. Sa filmographie compte plusieurs autres références plus méconnues sorties à l’aube des années 70, dont L’Étrangleur de Rillington Place, Terreur aveugle, Les Complices de la dernière chance et Les Flics ne dorment pas la nuit. Avec ces deux derniers longs-métrages, Richard Fleischer a offert deux de ses plus beaux rôles au grand George C. Scott.

Dans Les Flics ne dorment pas la nuit, sorti en 1972, le comédien oscarisé pour Patton incarne un vieux policier de Los Angeles, désabusé mais impliqué, qui fait équipe avec un bleu interprété par Stacy Keach. Le vieux briscard et le débutant nouent rapidement des liens d’amitié, et le premier permet au second de trouver ses repères dans la rue. En résultent des scènes absolument magnifiques, à l’image de celle où Kilvinski (George C. Scott) embarque plusieurs prostituées à bord d’un fourgon avant de les libérer quelques minutes plus tard en toute courtoisie, sous l’œil admiratif de Roy (Stacy Keach).

Photo tirée du film "Les Flics ne dorment pas la nuit", sur laquelle Stacy Keach et George C. Scott boivent un verre.

Dans L’île des adieux ou Hardcore, George C. Scott incarne des protagonistes submergés par une humanité qu’il ne parviennent plus à contenir. Cette caractéristique est encore plus flagrante dans Les Flics ne dorment pas la nuit, grâce à sa performance tout en retenue, d’une pudeur bouleversante. Le regard empli de compréhension et de vérité qu’il lance à un rookie « qui veut simplement être un bon flic », et dont les idéaux seront rapidement chamboulés alors qu’il voulait le préserver, en est la preuve parfaite. Le seul excès d’émotions que Kilvinski s’offre dans le long-métrage arrive dans la deuxième partie, lorsqu’il explose face à un propriétaire menteur, raciste et cupide qui escroque des clandestins. Et là-encore, le regard habité du comédien est criant d’authenticité.

La qualité générale de l’interprétation est loin d’être le seul point fort des Flics ne dorment pas la nuit. Richard Fleischer nous plonge dans une ambiance nocturne fascinante, et filme le quotidien de deux policiers qui préfèrent la bienveillance et la ruse au zèle et à la violence. Dénué d’intrigue, si ce n’est la chute et l’abandon progressif de ses deux personnages principaux, le long-métrage débute comme une longue virée en voiture, et s’impose comme un précurseur de films axés sur l’immensité des entrailles routières de la Cité des Anges, dont font partie Night Call et le récent Once Upon a Time… in Hollywood.

Photo tirée du film "Les Flics ne dorment pas la nuit", sur laquelle le policier interprété par George C. Scott explose et menace avec une matraque un propriétaire malhonnête.

S’il offre une vision quasi contemplative, antispectaculaire et intime de la vie de ces policiers qui finissent lessivés, Les Flics ne dorment pas la nuit ne tombe à aucun moment dans la pose, bien au contraire. Les ellipses sont amenées sans que l’on s’y attende mais de manière toujours compréhensive, notamment grâce aux détails autour des personnages, de leurs tenues et de leur posture. Richard Fleischer évite ainsi une mise en scène trop didactique pour mieux nous immerger dans le tourbillon sans fin que représente un métier qui absorbe tout, y compris l’espoir et l’amour. De par ses thématiques et son côté désabusé, Les Flics ne dorment pas la nuit est une œuvre qui s’ancre parfaitement dans le Nouvel Hollywood, alors que son réalisateur n’en fait pas partie. C’est sans doute la preuve que ce cinéaste savait parfaitement capter l’époque dans laquelle il vivait, raison pour laquelle il est nécessaire de le replacer au rang qu’il mérite.

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Critique : The Young Lady – Portrait de femme

Affiche de The Young Lady, sur laquelle Florence Pugh est assise dans une robe d'époque et affiche un visage fermé.

Avant de fondre pour Timothée Chalamet dans Les Filles du Docteur March, l’excellente Florence Pugh devait déjà lutter contre des tourments amoureux dans The Young Lady, mais avec nettement moins de douceur que dans la récente adaptation de Greta Gerwig. Dans ce premier long-métrage de William Oldroyd, tiré du roman La Lady Macbeth du district de Mtsensk de Nikolaï Leskov, la comédienne prête ses traits à Katherine, une jeune femme qui vient d’être mariée contre son gré à un homme aussi brutal qu’égoïste.

Refusant d’accepter une vie qu’elle n’a absolument pas choisie et synonyme d’étouffement, Katherine s’éprend d’un palefrenier prénommé Sebastian. Leur amour ne reste pas longtemps secret, et les entraîne dans une spirale destructrice. Tourné dans un cadre restreint, uniquement constitué de la maison de Katherine et des espaces qui l’entourent, The Young Lady adopte une unité de lieu réduite. Un choix qui permet de compenser le maigre budget alloué au long-métrage, mais surtout d’enfermer le spectateur à double tour dans le quotidien monotone d’une héroïne soumise et privée de liberté.

Photo tirée du film The Young Lady, sur laquelle Naomie Ackie noue le corset de Florence Pugh.

Si l’atmosphère est froide et lugubre, en partie grâce aux éclairages sombres et aux visages fermés des acteurs, elle ne laisse en aucun cas présager la chute de Katherine. À l’inverse, la vigueur de l’héroïne et l’impertinence avec laquelle elle répond à ses oppresseurs donne l’espoir qu’une autre vie est envisageable pour elle. Mais l’on est ici très loin de la douceur et la délicatesse des sœurs Brontë, et du romantisme revendiqué d’Orgueil et préjugés.

Après avoir débuté comme un récit d’émancipation, The Young Lady bascule progressivement vers le drame meurtrier façon La Balade sauvage. À chaque nouveau geste de folie de Katherine, le spectateur se dit qu’une rédemption est encore possible tant son refus de la passivité et de la domination est compréhensible, voire admirable dans la première partie du film. Mais cette spirale de violence ne pouvait avoir qu’une conclusion radicale, et le réalisateur William Oldroyd ne prive heureusement pas son long-métrage d’une telle fin.

Photo tirée du film The Young Lady, sur laquelle Florence Pugh dort allongée sur un sofa, vêtue d'une robe d'époque.

En résulte une œuvre glaçante, qui soulève de nombreux questionnements moraux autour des choix de son personnage principal, sans y apporter de réponse, ce qui aurait d’ailleurs nui à la puissance des dernières scènes, surprenantes et cruelles. Avant Midsommar d’Ari Aster, Florence Pugh se retrouvait donc déjà au cœur d’une relation toxique, à laquelle son personnage répondait de manière tout aussi brutale après avoir atteint son point de rupture. Sauf que dans The Young Lady, ce point de rupture arrive très tôt et cette héroïne marquante prend rapidement le contrôle, pour ne plus jamais le lâcher.

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Critique : Guns Akimbo – Shoot’Em Up

Affiche de "Guns Akimbo", sur laquelle Daniel Radcliffe affiche un air halluciné alors qu'il a une arme cloué à chaque main, qu'il lève en l'air. Le fond de l'affiche est jaune, comme le titre.

Après avoir incarné un mort enchaînant les flatulences dans le réjouissant Swiss Army Man, un promeneur de chiens dans la comédie Crazy Amy et un démon naissant dans Horns, Daniel Radcliffe continue de prouver avec Guns Akimbo qu’il a parfaitement su prendre le virage décisif de l’après-Harry Potter. Dans ce deuxième long-métrage de Jason Lei Howden, spécialiste des effets spéciaux qui a notamment travaillé sur La Planète des Singes : Suprématie, Avengers ou encore la trilogie du Hobbit, le comédien prête ses traits à un millenial qui a bien du mal à s’extirper de son canapé.

Les yeux rivés sur ses écrans, Miles se déchaîne et s’en donne à cœur joie dans des commentaires virulents. Mais lorsqu’il se met à troller la mauvaise personne, une escouade de fous furieux débarque chez lui et lui fixe un pistolet à chaque main à l’aide d’une grosse perceuse et autres clous rouillés. En se réveillant, le jeune homme découvre qu’il vient d’être intégré à Skizm, une émission ultra violente et diffusée sur le dark web, dans laquelle des candidats s’affrontent jusqu’à ce que morts s’ensuivent. Miles n’a alors que quelques heures pour tuer Nix, la joueuse la plus redoutable et déjantée du programme.

Photo tirée de "Guns Akimbo", sur laquelle Daniel Radcliffe hallucine quand il réalisé qu'il a une arme clouée à chaque main.

Commence alors un véritable défouloir qui ne ralentit quasiment pas pendant 1h30. Si le rythme est soutenu, le long-métrage n’a hélas pas la folie de l’injustement oublié Ultimate Game de Mark Neveldine et Brian Taylor, qui faisait preuve de davantage de méchanceté et surtout de radicalité pour dénoncer le cynisme crapuleux d’une entreprise similaire à Skizm. Guns Akimbo se rapproche davantage d’un Deadpool, en optant pour une subversion gentillette maquillée par des hectolitres d’hémoglobine.

Cependant, le plaisir est constant devant ce carnage, grâce à l’inventivité des scènes d’action et surtout à la traque entre les deux personnages principaux. D’un côté, Miles est un nerd qui s’en donne à cœur joie derrière son clavier, mais qui déchante totalement dès que la réalité sordide le rattrape. De l’autre, Nix est sans conteste l’une des héroïnes les plus badass croisées sur un écran depuis le début de l’année. Après le sympathique mais dispensable Wedding Nightmare, Samara Weaving rappelle qu’elle est actuellement la meilleure pour les explosions faciales, partageant ainsi la première place de ce prestigieux podium avec le Vince Vaughn de Section 99.

Photo tirée de "Guns Akimbo", sur laquelle Samara Weaving pointe deux armes vers l'objectif.

L’un des aspects les plus drôles de Guns Akimbo se trouve bien évidemment dans les difficultés que Miles rencontre pour se servir de ses mains alors que deux armes sont clouées dessus. Daniel Radcliffe n’a pas peur du ridicule et semble s’éclater dans le rôle de cet anti-héros largué, obligé de se frotter à nouveau au monde en robe de chambre, les mains percées, et pouvant uniquement compter sur la générosité d’un clochard qui suit le mantra de Cypress Hill. « Quand la merde débarque, t’as intérêt à être prêt », rappelle ce dernier en citant un classique du groupe de Los Angeles. Un adage que Miles devra apprendre à ses dépens, mais pour le plus grand plaisir du spectateur. Divertissement régressif et furibard comment on n’en voit quasiment plus dans les salles obscures, Guns Akimbo est une jolie surprise qui tient amplement ses promesses.

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Critique : The Gentlemen – Les Fumistes

Affiche de The Gentlemen de Guy Ritchie, sur laquelle tous les personnages sont alignés devant un fond blanc.

Après s’être égaré dans les couloirs des grands studios et plus particulièrement chez Disney avec Aladdin, Guy Ritchie avait visiblement besoin de revenir à ses premières amours. C’est tout du moins ce que laisse penser le détective privé de The Gentlemen interprété par Hugh Grant, qui raconte l’intrigue en train de se jouer à un autre personnage important, avant de tenter de vendre le script à un scénariste de Miramax, société de production du long-métrage.

L’histoire que le privé expose est celle de Mickey Pearson, un Américain qui a parfaitement réussi son expatriation au Royaume-Uni. À Londres, Mickey est progressivement devenu le roi du marché du cannabis, en profitant de son expérience à Oxford pour écouler son stock auprès de ses copains étudiants. Désormais à la tête d’un empire, le roi est respecté, craint et très bien entouré. Mais arrive le temps où la nouvelle génération, représentée par un jeune mafieux chinois particulièrement ambitieux, devient désireuse de prendre la place de l’ancienne. Et c’est précisément à ce moment-là que Mickey sort les crocs.

Photo tirée du film The Gentlemen, sur laquelle Matthew McConaughey pointe une arme sur un mafieux assis à la table d'un restaurant, pendant que Charlie Hunnam lui parle.

L’envie de Guy Ritchie de prouver qu’il était capable de revenir à ses fondamentaux est palpable tout au long de The Gentlemen, et plus particulièrement lors de la fameuse rencontre entre Hugh Grant et le producteur. « Une histoire comme ça est-elle encore transposable à l’écran ? », laisse entendre cette scène, alors que Ritchie est en train de répondre par l’affirmative. Après le marché des combats clandestins dans Snatch et celui de l’immobilier dans Rock’n’Rolla, le cinéaste britannique nous plonge dans celui, extrêmement florissant et donc ultra compétitif, de l’herbe. Mais pour s’intéresser à la White Widow et la Super Cheese, le réalisateur avait besoin de calmer le rythme, sans pour autant tomber dans le tempo nébuleux du génial Inherent Vice.

En résultent de longues conversations où les dialogues atteignent rarement l’impact espéré mais durant lesquelles les comédiens laissent déborder leur charisme avec tranquillité, hormis Colin Farrell. En coach de boxe furibard de South London extrêmement attaché aux jeunes qu’il entraîne, le comédien vole la vedette à chaque apparition, alors que son personnage est pourtant loin d’être indispensable au récit. À l’inverse, Charlie Hunnam fait preuve d’une retenue constante, y compris quand les événements lui échappent et qu’il doit aller négocier avec des toxicomanes, auxquels il est allergique. Son personnage, d’une loyauté sans faille envers Mickey, n’est pas sans rappeler Archie, le bras droit campé par l’excellent Mark Strong dans Rock’n’Rolla. Quant à Matthew McConaughey et Michelle Dockery, ils forment un couple redoutable et élégant en toutes circonstances, même lorsqu’il tombe dans la sauvagerie.

Photo tirée de The Gentlemen de Guy Ritchie, sur laquelle Colin Farrell et Charlie Hunnam regardent tous les deux à l'intérieur du coffre d'une voiture avec un air étonné.

Guy Ritchie a diminué les effets de montage pour se concentrer sur des face à face tendus, des menaces subliminales et des rencontres parfois hilarantes, sans pour autant renier son goût pour la narration déstructurée. Ce changement souligne à la fois la pauvreté de certains échanges et la cruauté de cette galerie de gangsters qui ne raterait pour rien au monde l’heure du thé. Avec The Gentlemen, le réalisateur prouve qu’il a gagné en sagesse mais qu’il n’a rien perdu en méchanceté. Ses personnages ont pour la plupart rarement été aussi cyniques, manipulateurs et manipulés, mais restent en tout cas profondément attachants.

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Critique : Bad Boys for Life – Miami Vice

Affiche de Bad Boys For Life, sur laquelle Martin Lawrence et Will Smith avancent avec l'air énervé, alors que la ville derrière eux est en feu.

Le départ de Joe Carnahan, réalisateur des excellents Mise à prix et Le Territoire des loups, avait de quoi inquiéter quant au troisième volet des aventures de Marcus Burnett et Mike Lowrey, intitulé Bad Boys for Life. 17 ans – rien que ça ! – après la sortie du deuxième opus, les deux flics de Miami reprennent du service. Et cette fois-ci, c’est personnel.

Contrairement à ses prédécesseurs, Bad Boys for Life s’intéresse ici vraiment au passé des deux acolytes, et plus particulièrement à celui de Lowrey. Si les enjeux dramatiques sont classiques, les réalisateurs Adil El Arbi et Bilall Fallah ont la judicieuse idée de s’en servir pour faire souffrir leurs deux héros, qui n’ont plus la possibilité d’être aussi décontractés qu’auparavant.

À l’image de Riggs et Murtaugh dans L’Arme Fatale 4, Burnett et Lowrey en prennent plein la gueule. En véritables amoureux du buddy movie, les réalisateurs belges les mettent à l’épreuve à travers des scènes parfois surprenantes, où le soin apporté à l’action ne fait que renforcer la joie des retrouvailles.

Photo tirée de Bad Boys for Life, sur laquelle Martin Lawrence et Will Smith regardent à l'extérieur d'une voiture.

Adil El Arbi et Bilall Fallah profitent des séquences comiques pour s’en donner à cœur joie sur le montage, qui fait vraiment mouche à une ou deux reprises. Si le long-métrage accumule les vannes sur la myopie et le côté pantouflard de Martin Lawrence, il ne tombe à aucun moment dans les excès et l’exubérance comique du deuxième opus, où Michael Bay était en roue libre.

Les cinéastes respectent à merveille l’héritage que leur laisse l’amoureux des explosions. Ils multiplient les références et les connexions directes avec les épisodes précédents, sans jamais tomber dans la facilité pour autant. Les clins d’œil sont généralement discrets et rapides, et feront probablement sourire les fans de la franchise.

Photo tirée de Bad Boys for Life, sur laquelle Martin Lawrence et Will Smith enquêtent dans une boîte de nuit.

L’envie d’Adil El Arbi et Bilall Fallah de s’ancrer dans la saga de manière cohérente tout en y apportant leur patte et leur générosité est donc palpable à chaque instant dans Bad Boys for Life. Si elles n’ont pas la folie de celles de Michael Bay, les scènes spectaculaires captivent. Les deux réalisateurs ne ménagent pas les victimes, et certaines idées visuelles ou certains choix de décors restent en tête une fois le film terminé. L’affrontement final dans un bâtiment abandonné de Mexico, où les cinéastes et les acteurs jouent la carte de l’émotion avec sincérité, en fait partie.

Grâce à sa violence et sa nervosité totalement assumées, mais aussi à la complicité d’un duo toujours aussi efficace même s’il rabâche encore les mêmes phrases 17 ans plus tard, Bad Boys for Life s’impose comme une surprise inattendue. L’absence de cynisme de jeunes cinéastes prometteurs permet au film de surclasser bon nombre de blockbusters récents, à commencer par Hobbs & Shaw qui tentait le même exercice, et s’inscrit dans la lignée des productions Bruckheimer/Simpson les plus réussies.

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