C’est la crise pour tout le monde. Même pour les gangsters. Vous pensiez que pendant que vous ramiez, ils étaient là à s’empiffrer de macaronis, à s’acheter des bagues aussi grosses que mon poing, à se balader en peignoir dans leur suite en attendant des filles de joie ? Détrompez-vous, pour eux aussi c’est la galère et même les plus grosses enflures ont la vie dure. Vous n’y croyez pas ? Alors Andrew Dominik saura vous le prouver avec Cogan – Killing them softly.
Lorsqu’un tripot de la Mafia est braqué par deux petites frappes bêtes et méchantes, les caïds se mettent en rogne et décident de traquer ceux qui ont fait le coup. Pour les retrouver, ils font appel à Jackie Cogan, tueur à gages réputé qui va débarquer dans un monde de dépressifs qui viendront lui mettre des bâtons dans les roues.
Depuis sa projection à Cannes, le dernier long métrage d’Andrew Dominik a beaucoup divisé la critique. Pour notre part, Cogan est un petit coup de cœur, loin d’être exempt de défauts mais qui remplit très largement son contrat. Alors oui, les dialogues sont parfois trop longs, un peu chiants, moins aboutis et utiles que chez Tarantino. Oui, la réalisation stylisée nous rappelle beaucoup d’influences comme Scorsese ou Winding Refn pour ne citer qu’eux. Mais dire que l’on ne s’est pas régalé devant cette peinture d’une facette de l’Amérique en crise serait un mensonge.
Ce qui est fascinant dans Cogan – Killing Them Softly, c’est la manière dont Dominik casse le mythe du criminel américain. Il est loin d’être le premier à le faire mais voir des escrocs complètement stupides se faire la guerre est un véritable ravissement. Ici les gangsters pleurent au bout de trois mandales, se baladent avec des canons sciés assez improbables et nous parlent de leurs anciennes histoires d’amour avec des prostituées. L’absurdité du long métrage lui donne un humour noir savoureux et à l’inverse d’un Scorsese ou d’un Coppola qui nous montraient des gangsters flamboyants avant de les détruire, Dominik nous présente d’entrée des personnages pathétiques auxquels on ne s’attache pas avec plaisir.
La galerie n’aura aucune sympathie de notre part et comme Brad Pitt (The Tree of Life), nous les regardons évoluer ou plutôt s’enfoncer avec un regard halluciné. Au-delà du propos politique et de la critique du capitalisme exacerbé, c’est la volonté de réaliser un pur film de genre qui nous heurte le plus. C’est lent, contemplatif, ça discute beaucoup mais cela reste jouissif. Tout est calculé, du moindre plan jusqu’au choix de la bande originale, beaucoup plus douce et posée que les standards sélectionnés par l’ami Tarantino. L’œuvre de Dominik est portée par un casting de choc qui enchaîne avec brio les séquences mémorables.
Après Tony Soprano, le rôle de sa vie, James Gandolfini retrouve un personnage de criminel torturé. Il est détestable, alcoolique et mauvais pour le business. Ben Mendelsohn (Animal Kingdom) est probablement le pire de tous. Puant et visqueux, il incarne l’abruti toxico qui fera tout foirer. Ray Liotta, enfermé dans la peau de ce protagoniste, est le criminel dont on a pitié, dépassé par son époque. Enfin, Richard Jenkins est le cadre, le superviseur. Avec sa berline, ses lunettes et son costume trop large, il nous fait plus penser à un chef d’entreprise qu’à un gros dur à cuire.
Après le fabuleux L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford, le tandem Brad Pitt/Andrew Dominik réussit à nous conquérir une deuxième fois avec ce changement de registre radical. A la fois calme et déchaîné, Cogan – Killing Them Softly est un film de gangsters comme on les aime avant d’être une œuvre politique. Sublimée par une mise en scène très classe et des interprètes très inspirés, cette histoire classique est à découvrir en salles, vous ne le regretterez pas.