America nous plonge en plein cœur de l’Arizona, dans la petite ville de Seligman, en novembre 2016, au moment où la campagne opposant Hillary Clinton à Donald Trump bat son plein. Alors qu’ils s’apprêtent à connaître le nom de leur 45e président, des habitants se livrent sur leur vision du pays, du rêve américain et de l’avenir.
À première vue, le documentaire de Claus Drexel ne se démarque pas par son originalité et enchaîne les différents témoignages de manière assez didactique, de façon à retranscrire une multitude de points de vue. Le long-métrage s’ouvre sur l’un des discours tapageurs de Trump, durant lequel il affirme que le rêve américain est mort. Au vu du paysage que l’on découvre en parallèle des mots de l’homme d’affaires, que l’on ne voit jamais à l’écran, il semblerait bien que ce soit le cas. Les paroles des premiers témoignages vont d’ailleurs dans ce sens et l’instrumentalisation que le milliardaire a fait des habitants isolés et appauvris, alors même qu’il était considéré par beaucoup comme le président des riches, est ainsi largement perceptible.
Pour autant, Claus Drexel n’a pas construit son documentaire comme un brûlot ou un vecteur d’une idéologie anti-Trump. Cette réflexion vient seulement de l’alternance habile entre les discours de campagne, que l’on entend la plupart du temps dans une chambre de motel nettoyée par une femme de ménage, et les témoignages qui soulignent ou infirment les propos de l’homme politique. La démarche du réalisateur n’est pas de juger les votes des habitants mais de les comprendre.
Cela se ressent pleinement et si le spectateur ne décroche pas une seconde, c’est en partie parce que le long-métrage n’est jamais dans une optique moralisatrice et qu’il laisse pleinement la parole aux habitants, filmés dans une focale courte qui donne de superbes plans larges et met en valeur l’environnement qui les entoure. Ce dernier joue d’ailleurs un rôle capital, qui permet de mieux comprendre le contexte dans lequel ils vivent, leur solitude, leur environnement familial ou encore la dureté d’une terre aride difficile à cultiver.
Au-delà de la politique, America parvient donc à retranscrire la vie d’une communauté à l’écart, dont certains membres puisent l’espoir là où ils le peuvent, tandis que d’autres semblent totalement résignés. Le désespoir de certaines interventions est parfois poignant, à l’image de celui d’une ancienne militaire ayant servi à plusieurs reprises, qui explique quelles sont les cartouches les plus efficaces pour se suicider, prenant en référence le cas de son mari qui avait opté pour des balles à tête creuse.
Le réalisateur n’a ainsi pas besoin de slogan contre le 2e amendement, qui garantit le port d’armes aux citoyens américains, pour pointer les dysfonctionnements du système en place. Il en va de même pour l’immigration, sujet sur lequel certains habitants s’indignent contre le massacre des amérindiens tout en vantant les mérites du mythe pionnier. Ces contradictions sont généralement mises en lumière avec sobriété par le cinéaste, même si certains symboles sont parfois très appuyés au montage. C’est notamment le cas avec le long plan final, durant lequel un train transportant des dizaines de tanks traverse une zone rurale et précaire.
S’il ne soulève pas autant de questionnements que l’excellent We Blew It de Jean-Baptiste Thoret, qui abordait certaines des mêmes problématiques en se focalisant sur la mort du Nouvel Hollywood, America mérite tout de même largement le coup d’œil, ne serait-ce que pour se rendre compte de l’influence de Donald Trump dans le pays qu’il dirige. Vu comme un sauveur ou à l’inverse comme un élément annonciateur de l’Apocalypse, l’homme politique semble en tout cas être un repère dans les peurs des habitants. Alors que le président vient de se féliciter du « miracle » que représente le bond dans la croissance économique observé aux Etats-Unis au deuxième trimestre, le spectateur se demande de son côté où en sont aujourd’hui les habitants de Seligman, preuve que le film de Claus Drexel fait son petit effet.
America est disponible en DVD depuis le mercredi 22 août 2018.