Le cinéma est-il aujourd’hui le meilleur moyen de faire passer un message ? Les frères Coen ont répondu depuis bien longtemps à cette question. Avec leur nouveau long métrage, les scénaristes et réalisateurs les plus brillants de leur génération dressent un magnifique hommage au septième art en démontrant toute sa puissance mystique et en s’appropriant l’âge d’or d’Hollywood.
De la screwball comedy au western en passant par le péplum et la comédie musicale, tous les genres qui ont fait le succès des studios dans les années 50 sont revus dans Avé, César ! Retrouvant leur compère Roger Deakins, directeur de la photographie qui les avait quittés le temps d’Inside Llewyn Davis, les Coen s’en donnent à cœur joie. Que ce soit lors d’une séquence aquatique ou d’un numéro de claquettes dans un bar, les cinéastes nous font revivre les plus belles années du Technicolor, procédé qui a notamment immortalisé les œuvres de Stanley Donen et Vincente Minelli.
Les chorégraphies font la part belle aux acteurs et la composition des plans nous ramène aux procédés illusoires de l’époque que les Coen modernisent sans difficulté. Certains comédiens à l’image de Scarlett Johansson ou Jonah Hill font de brèves apparitions mais le travail et surtout le plaisir de tourner avec les frères se ressentent dans chaque scène. D’un point de vue technique, Avé, César ! est rythmé, fluide et les Coen nous plongent dans une période révolue avec une maîtrise totale.
Ce n’est pourtant pas ce qui marque le plus dans le dix-septième long métrage des frères. Le magnifique propos sur le don qu’a le cinéma pour faire évoluer les esprits est ce que l’on retiendra avant tout. Comme The Big Lebowski ou Burn after reading, Avé, César ! est une farce qui met en scène de nombreux idiots qui n’ont apparemment aucun lien entre eux mais que le récit va rapprocher grâce à des concours de circonstances.
Dans cette histoire où l’on croise des communistes du show business, des icônes forcées de cacher leur homosexualité et des jeunes stars ressemblant à James Dean et Ricky Nelson se dresse Eddie Mannix, engagé pour régler tous les problèmes de logistique du studio Capitole. Le cinéma, Eddie lui consacre sa vie en s’occupant des contrariétés des acteurs, en les remotivant et en évitant les scandales dans la presse. Lorsqu’il prépare un film où le Christ sera montré à l’écran, Mannix s’assure que cela ne heurtera aucune autorité religieuse. Si les studios gèrent l’image des stars, Eddie fait quant à lui son travail en honnête homme, sans cynisme.
Au-delà de leur talent pour mettre en scène des idiots, dont l’un est interprété avec génie par George Clooney, c’est la sincérité de personnages comme Mannix qui démontre une nouvelle fois l’amour des réalisateurs pour leur art et leur capacité à le transmettre. Au lieu de tomber dans la dénonciation d’un âge pourri par le Maccarthysme, les Coen préfèrent comme d’habitude l’absurde, utilisé à travers une galerie d’individus souvent ridicules que Mannix doit affronter quotidiennement.
Le cinéma écrit sa propre histoire en racontant celle de l’humanité et peut matérialiser le sacré. Il est ainsi à même de créer ses propres mythes. C’est ce que montre le très beau dernier plan du film. Il n’est pas bénéfique mais nécessaire d’avoir foi en le cinéma et Mannix incarne cette idée à merveille lorsqu’il remotive Clooney lors du magistral tête-à-tête final. S’ils savent s’en moquer mieux que personne, les Coen vouent un culte incontestable au septième art et à l’Americana, brillamment représentée ici par le personnage incarné par Alden Ehrenreich, comédien naïf néanmoins capable de résoudre de nombreux problèmes aux côtés de Mannix.
Avé, César ! est une ode au cinéma pleine d’espoir et d’optimisme. Après The Big Lebowski, les Coen confirment qu’ils sont les meilleurs dans le domaine des kidnappings foireux et si ce dernier long métrage emprunte lui aussi beaucoup au film noir, il est avant tout une comédie indispensable et complexe qu’il sera nécessaire de revoir pour en saisir toutes les nuances.