Critique : Bad Times – To live and die in L.A.

Affiche de Bad Times de David Ayer. Christian Bale, armé, y maitrise un homme à genoux. Derrière lui, Freddy Rodriguez l'observe d'un oeil inquiet.

Il est difficile de trouver des œuvres sur la vie des quartiers de Los Angeles qui ne tombent pas dans les clichés. Si John Singleton et les frères Hugues avaient joliment ouvert le bal dans les années 90 avec Boyz’n the hood et Menace II Society, le genre a vite trouvé ses limites et cela s’est particulièrement ressenti au début des années 2000. En 2001, Denzel Washington remportait l’Oscar du Meilleur acteur pour Training Day, polar nerveux qui a engendré un grand nombre de thrillers réutilisant la même recette, à l’image de Dark Blue, Au bout de la nuit ou encore End of Watch.

Le point commun entre tous ces longs métrages, c’est David Ayer, scénariste et réalisateur inégal. De tous ses films, Bad Times est probablement celui qui a été le moins exposé. C’est dommage car c’est également le moins calibré et le plus surprenant. Spécialiste des bas fonds de Los Angeles, le cinéaste nous a souvent plongés dans des ambiances glauques gâchées par des péripéties téléphonées. C’était le cas dans son dernier film, Sabotage, qui aurait pu être une œuvre sans concession mais n’était finalement qu’une série B gâchée par un pitch stupide maquillé en intrigue sinueuse.

A l’inverse de toutes les œuvres de son auteur, Bad Times ne nous immerge pas au cœur d’une intrigue policière en nous présentant des flics alcooliques et borderline. S’il se démarque, c’est parce qu’il nous dévoile la vie de deux trentenaires ayant grandi dans les rues de L.A. L’un revient de la guerre en Irak et aspire à devenir policier tandis que le second est à la recherche d’un job. Ensemble, ils vont sillonner la ville à la recherche d’une solution.

Si Bad Times met mal à l’aise immédiatement, c’est bien sûr à cause de la folie de son personnage principal, véritable Travis Bickle des années 2000, mais également parce que le processus d’identification est immédiat. Contrairement aux personnages de Training Day ou Au bout de la nuit, les deux zonards de Bad Times n’ont rien d’époustouflant ou d’extraordinaire. Traînants dans des rues qu’ils connaissent par cœur mais qui leur réservent encore des surprises, ces deux types n’ont pas d’objectif précis et cherchent à s’échapper de leur quotidien. Conscients de la pourriture de la ville qu’ils aiment et détestent à la fois, ils sont totalement responsables du cours des événements mais se laissent tout de même emporter par une violence avec laquelle ils ont toujours flirté.

Photo de Christian Bale dans le film Bad Times de David Ayer. L'acteur pointe son arme sur un personnage que l'on ne voit pas.

Si Christian Bale est poussé par l’adrénaline et sombre peu à peu dans la démence, Freddy Rodriguez est quant à lui plus terre à terre mais moins volontaire. En quelques jours, ces deux potes vont vivre les heures les plus importantes de leur vie sans en avoir conscience. La violence de Los Angeles a déjà été transposée maintes et maintes fois à l’écran mais rarement à travers le point de vue de personnes quelconques. C’est ce qui fait la force de Bad Times et le rend puissant. Les réactions des protagonistes, à l’image des crises de panique de Freddy Rodriguez, s’avèrent déstabilisantes tant elles paraissent authentiques et légitimes.

Au-delà de cette descente en enfer irrattrapable, Bad Times est aussi le portrait d’un soldat devenu encore plus incontrôlable que son environnement. Possédé, Christian Bale délivre l’une des prestations les plus intenses de sa carrière. Ses crises de rage ne sont jamais excentriques comme celles d’American Psycho. Cela rend son personnage beaucoup plus imprévisible. Du début à la fin, on sait pertinemment que le coup va partir, mais l’on redoute toujours le moment.

Pour ceux qui en doutaient, Bad Times est la preuve que Christian Bale n’a pas besoin de se transformer physiquement pour être habité. Avant de sombrer dans les méandres du found footage (End of Watch) et les polars bas du front, David Ayer avait réussi à sonder la crasse d’une ville qui ne laisse personne innocent et efface les états d’âme. Injustement oublié, ce coup d’essai est ce qu’on a vu de plus intense dans la filmographie de l’artiste. Nous verrons dans quelques mois si Fury, son film de guerre avec Brad Pitt, retrouve l’intelligence et la colère de cette première œuvre.

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