En 2015, Tim Burton devait stopper ses incartades, ses revirements kitsch et sans saveur qui atteignaient leur paroxysme avec Dark Shadows, dans lequel Burton cherchait à prouver par tous les moyens qu’il était toujours Burton, quitte à favoriser le ridicule à l’absurde et faire de sa muse Johnny Depp un pantin caricatural. Malgré les déceptions (Sweeney Todd, Alice au pays des merveilles) et les productions douteuses (Abraham Lincoln : Chasseur de vampires) qui s’enchaînent depuis dix ans, le cinéaste continue de trouver son public et d’attiser la curiosité.
On attendait avec Big Eyes un portrait au vitriol de l’un des plus gros escrocs de la pop culture, l’usurpateur Walter Keane, qui s’est approprié pendant de nombreuses années les travaux de sa femme Margaret.
A l’inverse de cette dernière, Burton a voulu jouer avec Big Eyes la carte de la sobriété. Si l’on retrouve dans le long métrage son amour pour le mouvement de Warhol et les lotissements d’Edward aux mains d’argent, la mise en scène est cependant moins excentrique et plus conventionnelle. On pensait que le réalisateur allait s’approprier le travail de Margaret Keane pour créer des délires visuels. Hormis une séquence anecdotique dans un supermarché, il ne s’écarte jamais de la biographie classique et signe une œuvre finalement anodine. Laissant ses acteurs s’exprimer, le cinéaste offre à Christoph Waltz (Inglourious Basterds) un nouveau rôle lui permettant de jouer de son sourire narquois et de son pouvoir de manipulation. Hélas, à la manière de Johnny Depp dans Dark Shadows, le comédien enchaine les grimaces, gesticule et hurle, frôlant à de nombreux moments l’autoparodie, notamment lors de la séquence du procès durant laquelle Keane fut ridiculisé.
La question de la légitimité de l’artiste est toujours actuelle. Keane est la preuve qu’on ne peut s’improviser créateur et Burton réussit à mettre en avant le décalage entre le beau parleur et sa femme. Interprétée par Amy Adams, Margaret Keane est malheureusement relayée au second plan au profit des singeries exécutées par Waltz. S’il avait su allier le fantastique à un ton irrévérencieux dans certains de ses longs métrages (Beetlejuice, Mars Attacks), Tim Burton a perdu avec les années cette verve et surtout son inspiration. Sage, le cinéaste donne l’impression qu’il est en constante retenue, n’osant jamais bousculer le spectateur et préférant s’effacer derrière la vie d’un couple atypique.
Rempli d’ellipses, Big Eyes délaisse son personnage féminin, une créatrice prise au piège. Si l’on ressent le sentiment d’enfermement de Margaret Keane, la lutte finale face à son diable de mari est expédiée dans une dernière partie légèrement plus rythmée, notamment grâce aux apparitions furtives mais efficaces de l’irremplaçable Terence Stamp (L’anglais). On regrette que le pince sans rire Jason Schwartzman ne soit pas plus présent, à l’image de tous les seconds rôles du film.
Big Eyes est une présentation d’un roi de la communication qui a su profiter de la valeur montante de l’art pour faire fortune et créer un concept marketing, à l’instar de nombreuses multinationales avec lesquelles le réalisateur a déjà collaboré. On aurait aimé retrouver un Tim Burton plus impliqué lorsqu’il s’agit de faire une déclaration d’amour à l’art. Son œuvre est à l’image de la partition de Danny Elfman, faussement enjouée et tristement répétitive. On ne peut que souligner la reconstitution impeccable et la prestation d’Amy Adams, touchante dans la peau de cette mère privée de son enfant et rabaissée par un mythomane incapable de créer. Il faut néanmoins constater que le Tim Burton subversif d’Ed Wood s’est définitivement perdu. Ironiquement, le réalisateur n’est pas le mieux placer pour aborder le débat que Big Eyes tente de soulever. L’escroquerie pourrait finalement venir de lui.