Critique : Certaines Femmes – Les Grands Espaces

Affiche de Certaines Femmes de Kelly Reichardt sur laquelle le portrait des quatre actrices principales est dessiné.

Laura est avocate et s’occupe d’un homme en procès contre l’entreprise qui l’employait. Gina tente de convaincre un propriétaire de lui céder les pierres abandonnées sur son terrain pour qu’elle puisse construire sa maison. Jamie s’occupe d’un ranch et se rend par hasard à un cours du soir sur l’enseignement mené par Beth, une professeure à laquelle elle s’attache.

Film choral découpé en plusieurs chapitres, Certaines Femmes prend d’emblée le temps de dépeindre chaque situation, s’adaptant ainsi parfaitement aux rythmes de vie de ses quatre héroïnes. Kelly Reichardt réussit une nouvelle fois à nous happer dans des moments qui pourraient être anodins mais qui s’avèrent en réalité déterminants pour l’évolution de ses personnages.

Dans Wendy & Lucy, la quête de Michelle Williams pour retrouver sa chienne devenait au fil du film de plus en plus désespérée. Dans Night Moves, le regroupement d’activistes écologistes basculait en une mission risquée aboutissant à une montée de paranoïa désastreuse chez de Jesse Eisenberg.

On retrouve une progression semblable dans Certaines Femmes, qui prend en revanche le chemin inverse où l’inquiétude se transforme peu à peu en tranquillité. Les quatre protagonistes font en effet face aux événements avec beaucoup plus de sérénité malgré leurs désenchantements.

Photo de Michelle Williams assise à l'avant d'une voiture dans le film Certaines Femmes de Kelly Reichardt.

Dans les deux premières parties, le spectateur voit la lassitude sur les visages de Laura Dern et Michelle Williams. La première est confrontée à un client obstiné et désemparé. Ce dernier va faire une erreur qu’elle devra rattraper dans une séquence qui évoque un final de western. La seconde culpabilise lorsqu’elle fait face au vieil homme et ses réponses vagues après sa demande concernant les pierres pour la construction de sa demeure. La solitude de Dern et l’instabilité de la situation familiale de Williams laissent au public un sentiment d’inachevé malgré leurs accomplissements au moment où le troisième acte débute.

Plus douce, plus légère que le reste de l’œuvre dans sa façon de montrer le quotidien répétitif de Jamie dans son ranch situé dans les magnifiques grands espaces du Montana, la dernière histoire de Certaines Femmes est probablement la plus touchante. Jamie semble n’être en contact qu’avec ses animaux, vit seule malgré ses deux frères évoqués lors d’une conversation et entre par hasard dans un cours du soir après avoir vu de la lumière.

Si l’on en sait finalement très peu sur son personnage, il demeure celui auquel on s’attache le plus. En reproduisant plusieurs fois les mêmes scènes de vie, c’est à dire le travail au ranch et les conversations dans un dinner, Kelly Reichardt crée des habitudes visuelles extrêmement agréables, brisées ensuite par l’envie de conquête de Jamie, magistralement amenée lors d’une arrivée en cheval dans une petite ville alors qu’il fait nuit.

Photo de Lily Gladstone prise face à l'objectif dans son ranch, regardant au loin, dans le film Certaines Femmes de Kelly Reichardt. Les montagnes du Montana sont visibles au loin.

Kelly Reichardt filme alors Lily Gladstone sans effet triomphant facile, réussissant à créer la surprise en deux plans sans changer de tonalité. C’est ce qui fait la singularité de la réalisatrice, qui parvient à passer d’une émotion à une autre sans que cela ne paraisse jamais appuyé. Chamboulé, le spectateur a le sentiment d’observer des réactions spontanées chez les personnages, à la fois discrètes et profondément évocatrices.

C’est de cette façon que l’on percevait l’inquiétude et l’anxiété de Michelle Williams lorsqu’elle perdait sa camarade de route dans le très beau Wendy & Lucy. Le troisième chapitre de Certaines Femmes parvient quant à lui à ramener l’harmonie dans le long métrage malgré l’amertume ambiante, balayée en permanence par Lily Gladstone. Lorsque ce troisième acte se termine, Kelly Reichardt peut enfin boucler ses deux autres histoires dans le même apaisement.

La cinéaste pose un regard empli de bonté sur les protagonistes dont elle fait le portrait. Œuvre hors du temps où la nature occupe une place capitale, comme toujours chez Kelly Reichardt, où le dévouement est exprimé de manière silencieuse et où les quatre actrices gracieuses font des merveilles, Certaines Femmes est sans difficulté l’un des grands films de l’année.

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