Après avoir imposé de nombreux sacrifices financiers à ses employés et malgré un bénéfice record, la direction de l’usine Perrin, basée à Agen et spécialisée dans la sous-traitance automobile, décide de mettre la clef sous la porte. Porte-parole des 1100 salariés sur le point d’être licenciés, Laurent Amédéo met tout en œuvre pour qu’ils puissent récupérer leur emploi.
Avec En Guerre, Stéphane Brizé signe probablement son long-métrage le plus immersif et le plus prenant, qui révèle à merveille son alchimie avec Vincent Lindon. Dès la première séquence, durant laquelle les employés expliquent aux médias les raisons de leur colère, qui ne cesseront d’être minimisées dans chacun des interludes reprenant le format des chaînes d’information, le comédien est immédiatement reconnaissable parmi la foule.
Très rapidement, les caméras du réalisateur se resserrent sur l’acteur, sans pour autant délaisser les comédiens non professionnels, qui ne déméritent pas et rendent le travail de préparation autour des dialogues extrêmement ciselés et percutants totalement perceptible, sans que leur jeu ne paraisse démonstratif ou poseur. Au contraire, le réalisme et le naturel auxquels aspire Stéphane Brizé ont rarement été aussi bien retranscrits dans sa filmographie.
À mesure que la lutte sociale s’intensifie, Laurent Amédéo redouble d’efforts et l’utilisation de la longue focale rend à la fois compte de l’étouffement auquel il tente de faire face et le besoin de combattre, lisible en permanence sur son visage. Ce ressenti trouve son point culminant lors d’une confrontation avec les CRS à Paris, où les salariés décident de monter pour tenter d’entamer des négociations avec un dirigeant influent, durant laquelle le porte-parole fait tout pour garder son sang-froid alors que le poids des corps qui s’entrechoquent est palpable.
Lors des séquences de discours, le spectateur oublie parfois qu’Amédéo est présent, jusqu’à ce qu’il prenne la parole pour appuyer un point précis du débat ou pour lancer un contre-argument à ses opposants. Ce sont aussi ces longues scènes d’échanges qui dévoilent l’implication d’un personnage qui ne faiblit à aucun instant, y compris lors de ses rares moments d’accalmie, et qui le rendent extrêmement touchant. Elles révèlent par ailleurs l’énorme travail de documentation fait par Stéphane Brizé et son co-scénariste Olivier Gorce, qui ne tombent à aucun moment dans la caricature à travers les situations abordées.
La musique de Bertrand Blessing qui résonne lors des moments de révolte face aux injustices amplifie par ailleurs la tension permanente d’un long-métrage au rythme soutenu. Elle préfigure même une conclusion que le spectateur ne voit absolument pas venir et qui témoigne de l’engagement total du personnage principal. Sans prendre parti lors des débats, Stéphane Brizé donne son point de vue sur le sujet du film en collant au maximum à Laurent Amédéo, personnalité jusqu’au-boutiste dans sa façon de toujours faire passer son individualité au second plan.
Les rares séquences où il évoque ou passe du temps avec sa famille, et dans lesquelles il ne dévoile jamais le poids de ses responsabilités, contrecarrent habilement les images des chaînes d’informations ou celles filmées par un smartphone. La mise en parallèle de ces scènes diamétralement opposées appuie avec brio sur le décalage entre la mise en contexte que le sujet mérite et la facilité avec laquelle le traitement médiatique le réduit pour n’en garder que les frasques, déformant ainsi profondément son essence. En cela, En Guerre représente une très belle réussite, en plus du fait que le long-métrage nous rappelle que Vincent Lindon est l’un de nos comédiens les plus précieux.
En Guerre est à (re)découvrir en DVD et Blu-Ray.