Un jeune homme gagne un séjour d’une semaine chez son patron, un génie visionnaire qui souhaite lui dévoiler un projet secret. Durant la courte scène d’exposition, Caleb ne semble pas être à l’aise alors qu’il vient de gagner un prix extrêmement convoité dans son entreprise aseptisée.
Cette séquence d’ouverture donne immédiatement le ton du long métrage, fable de science-fiction où l’isolement et l’illusion du savoir viendront briser les rêves de deux génies qui pensent maîtriser la technologie. Caleb est à l’image du personnage de Her, rêveur, renfermé, sensible et adepte des objets connectés. Il sera lui aussi confronté à une intelligence artificielle parfaite, Ava, créée par Nathan, PDG richissime qui vit reclus dans une demeure automatisée et ultra sécurisée.
Rapidement, Caleb arrive sur les magnifiques terres de Nathan. Lorsque ce dernier apparaît pour la première fois à l’écran, son assurance semble inébranlable et son contrôle est total. Consommateur d’antioxydants après ses longues soirées, mégalomane adepte de danses curieuses et avide de sexe, Nathan aurait pu n’être qu’une grossière caricature d’un Mark Zuckerberg qui exprime à la fois un énorme besoin de reconnaissance mais qui rejette également tous ses semblables. C’était sans compter sur le talent d’Oscar Isaac, qui parvient à rendre le dirigeant pathétique, flippant et machiavélique. Face à lui, Domhnall Gleeson n’hésite pas à s’effacer avant de s’imposer face aux failles et à l’égocentrisme de l’homme enfermé dans son bunker.
La technologie est censée créer de nouvelles interactions. C’est sur ce point que Caleb et Nathan vont s’entendre. Grâce à Ava, les deux hommes vont mener le test de Turing afin de prouver qu’elle possède une conscience. Est-il possible qu’une machine éprouve des sentiments ? Est-il possible d’être séduit par sa conscience et de ressentir de l’empathie pour elle ? Ces questions sur l’intelligence artificielle et le contrôle des machines sont loin d’être nouvelles et ne font pas d’Ex Machina le film révolutionnaire et visionnaire que nous avait promis la magistrale campagne marketing et de nombreuses critiques.
En revanche, dès l’apparition d’Ava, interprétée par Alicia Vikander, l’ambiguïté se renforce et la méfiance laisse progressivement place à une sorte de triangle amoureux pervers. Les trois individus ne cessent de se scruter, de s’étudier et si la conscience d’Ava n’est pas remise en question très longtemps, ce sont ses intentions qui deviennent le centre du film. En filmant dans un environnement isolé rempli de caméras où la lumière du soleil se voit peu, le scénariste et réalisateur Alex Garland renforce l’oppression, la paranoïa et inverse les rôles. Les humains retourneraient-ils à l’état sauvage une fois coupés du monde ? Ava, création prisonnière d’un monde restreint sur lequel elle a une compréhension totale pourrait-elle se contenter de cette vie ?
Les interactions sont indispensables à l’être humain. Garland les minimise, creusent les limites des deux génies qui ne parviennent plus à établir de plans suffisamment malins pour prendre le dessus tandis qu’Ava enrichit sa soif de découvrir le monde extérieur et donc son espoir. Le scénariste de 28 jours plus tard et Never Let Me Go retrouve ses thèmes de prédilection, reprend l’allégorie de la caverne de Platon et pose la question du développement social des intelligences artificielles au contact des autres. Si ces dernières ne subissent que blâmes et tortures, pourront-elles se conformer aux lois de la robotique d’Asimov ? Ces questionnements ne sont en rien originaux mais la maîtrise visuelle de Garland et de ses influences lui permettent de livrer une relecture de Frankenstein étouffante et ironique, aidé par trois comédiens à l’aise dans des rôles bourrés de nuances.