
Ancien aumônier militaire, Ernst Toller s’occupe de l’une des premières églises réformées aux États-Unis. Lorsqu’il fait la connaissance d’un activiste écologiste désabusé et inquiet à l’idée d’avoir un enfant sur une planète vouée à la destruction, le pasteur voit ses doutes sur l’existence et sur sa profession de foi resurgir. Ces derniers se renforcent lorsqu’il se rend compte que son église a des liens avec une multinationale douteuse.
Après s’être fait massacrer pour Dog eat dog et La sentinelle, Paul Schrader signe un retour en très grande forme avec un long-métrage qui n’est pas sans rappeler Taxi Driver et À tombeau ouvert. À l’image des deux films de Martin Scorsese écrits par Schrader, First Reformed, tristement renommé Sur le chemin de la rédemption en France, nous plonge dans les errances mentales d’un homme qui aura besoin d’une action salutaire pour s’en extirper. Cependant, le cadre dans lequel le personnage évolue est ici nettement plus isolé, puisque le cinéaste ancre son récit dans une petite ville qui est l’exact opposé de New York.

Comme Travis Bickle, Ernst Toller livre son ressenti par écrit, cette fois-ci sur un journal et non des courriers, qu’il s’applique à tenir pendant une année. Alors que le personnage incarné par Robert De Niro était traumatisé par la guerre du Vietnam, le pasteur ne se remet quant à lui pas de la mort de son fils en Irak. La douleur est ravivée lorsque l’un de ses paroissiens évoque, au cours d’un dialogue magistral qui soulève avec justesse bon nombre d’interrogations actuelles, son incapacité à élever un enfant.
Au cours de cette séquence charnière, Ethan Hawke illumine les plans fixes de Paul Schrader avec son envie de replacer l’espoir dans l’esprit malade de son interlocuteur. Le spectateur, dont l’impuissance est renforcée par la stabilité des images, assistera par la suite à la chute du prêtre, dont la foi est remise en question par les désillusions qui s’enchaînent. C’est en effet le désespoir qui devient finalement contagieux, et le désenchantement qui habite le militant vient peu à peu se loger chez Toller. Le seul élément lumineux du film, véritable repère pour les deux hommes, est l’épouse de l’activiste incarnée par Amanda Seyfried, dont la bonté offre une scène finale magnifique et inattendue, qui surprend autant qu’elle laisse la gorge nouée.

Cette conclusion iconoclaste ramène autant l’envie de croire à la perspective d’un avenir meilleur qu’elle provoque la douleur. Cette dernière devient d’ailleurs physique au fil du film, à mesure que les deux hommes qui la ressentent deviennent incapables de la supporter mentalement. Le choix du format 4:3 renforce la proximité et l’empathie que le spectateur éprouve envers Toller. Il devient en effet aussi proche de lui qu’il l’était de Travis Bickle et de l’ambulancier Frank Pierce, et se retrouve peu à peu envahi par l’envie de le voir s’en sortir, même s’il est conscient que la fin du voyage se fera dans la souffrance.
Voir Paul Schrader revenir près de 20 ans après À tombeau ouvert et 40 ans après Hardcore, avec un film aussi convaincant et énervé que First Reformed s’avère extrêmement rassurant. Sans verser dans la nostalgie d’un cinéma révolu, le long-métrage ravive des questionnements que bon nombre de films du Nouvel Hollywood ont su provoquer, notamment sur la façon d’avancer vers un avenir incertain, avec des parti pris esthétiques marqués mais savamment dosés pour ne pas tomber dans la grossièreté. Comme il a toujours su le faire, le cinéaste et scénariste nous dévoile une nouvelle œuvre magnifique sur un individu quasiment seul, qui sombre peu à peu dans la destruction pour rejeter un monde qui le dépasse et auquel il n’appartient plus, mais qu’il aimerait pourtant retrouver.