Critique : Gangs of New York – Mean Streets

Affiche du film Gangs of New York réalisé par Martin Scorsese. Nous y voyons en haut de l'affiche le portrait de Daniel Day Lewis, Cameron Diaz et Leonardo DiCaprio. En bas, une foule d'hommes armés court vers l'objectif pour un combat sanglant.

En 2002, le plus new-yorkais des cinéastes américains entamait sa collaboration avec Leonardo DiCaprio et signait l’un de ses nombreux chefs d’œuvre, qui le remit sur le devant de la scène après les échecs au box-office des excellents Kundun et A tombeau ouvert. Gangs of New York marque le début d’une amitié cinématographique et s’impose comme une fresque flamboyante aussi enrichissante qu’un cours d’histoire mais bien plus divertissante et créative.

Gangs of New York nous emmène dans les années 1850, durant lesquelles des guerres de clans éclatent entre les natifs américains et les immigrés irlandais. Là où les premiers veulent garder le contrôle de certains quartiers de ce qui deviendra la Grosse Promme, les seconds revendiquent leur liberté dans un pays ne leur réservant pas un accueil facile.

En dehors de l’intrigue sur l’affrontement entre les gangs et le parcours d’Amsterdam Vallon, déterminé à tuer William Cutting, natif américain à la tête du quartier des Five Points et meurtrier de son père, ce qui frappe avant tout dans Gangs of New York est l’immense travail de reconstitution de Scorsese. « L’Amérique est née dans le rue » peut-on lire sur l’affiche. Cette phrase a bien sûr un écho dans le parcours d’Amsterdam mais également dans tout le contexte politique du film, qui se déroule en partie durant les émeutes lancées contre la conscription d’Abraham Lincoln en pleine guerre de Sécession. L’abolition de l’esclavage, l’arrivée des immigrés, l’épisode des Draft Riots… Tous ces faits historiques sont parfaitement intégrés au long métrage. Scorsese évite la démonstration et ne fait pas de cinéma académique et moralisateur. C’est le reproche que l’on pourrait faire à d’autres œuvres comme 12 years a slave pour lequel on ne nie pas pour autant notre admiration.

Photo de Daniel Day Lewis dans le film Gangs of New York de Martin Scorsese. En costume, l'acteur pointe du doigt un personnage que l'on ne voit pas avec un air de défi.

Scorsese n’a pas seulement la volonté de dénoncer ou de mettre en avant les injustices sociales qui ont mis son pays à feu et à sang. Comme Tarantino l’a fait avec Django Unchained, il confère à Gangs of New York une histoire tragique et violente. On ne peut s’empêcher de penser au combat d’ouverture, à la fameuse réplique « Le sang doit rester sur la lame ». Grâce à un montage représentant à merveille le chaos mais évitant constamment la violence gratuite et le découpage en milliers de plans, le long métrage possède une dimension guerrière comme on a trop peu l’habitude d’en voir. Le cinéaste signe des scènes appuyées mais jamais indigestes ou prétentieuses. Lorsqu’il nous dévoile un plan séquence montrant l’arrivée des irlandais et leur engagement immédiat pour la guerre, on ne s’en rend même pas compte. Il s’agit là d’un réalisateur qui utilise une grammaire cinématographique pour faire avancer sa narration et en aucun cas pour combler un vide scénaristique ou nous montrer qu’il sait tenir une caméra.

Au contraire, Gangs of New York est une oeuvre extrêmement riche, avec plusieurs niveaux de lecture, qui réussit à retranscrire une époque historique fondamentale tout en se concentrant sur la quête d’un individu. La loyauté et l’honneur mais aussi les trahisons et la peur sont des thèmes abordés à travers des personnages envers lesquels on ne peut s’empêcher d’avoir de l’empathie, même les plus pourris. Lorsque l’on découvre par exemple l’évolution du protagoniste interprété par John C. Reilly (Frangins malgré eux), on ne le trouve en aucun cas ridicule et Scorsese a le talent de ne pas catégoriser les irlandais en tant que simples gentils et les natifs en tant que méchants. Comme toujours dans ses films, il n’y a pas d’idées arrêtées mais des remises en question perpétuelles, caractérisées par la culpabilité, la foi ou la quête de rédemption. Mais comme d’habitude avec le réalisateur, il est nécessaire de s’adapter au monde brutal dans lequel on le vit et de vivre en accord avec ses choix, qu’ils soient bons ou mauvais. C’est également le cas de DiCaprio et Damon dans Les Infiltrés, du Jordan Belfort du Loup de Wall Street ou de Nicolas Cage dans A tombeau ouvert. Si l’on en est incapable, impossible de ne pas chuter (Mean Streets, Les Affranchis) ou sombrer dans la folie (Shutter Island, La valse des pantins).

Porté par un casting phénoménal, à commencer par Daniel Day Lewis, Cameron Diaz et Brendan Gleeson, Gangs of New York marque, avec Arrête moi si tu peux, le début du sans faute opéré par DiCaprio depuis douze ans. La dernière scène mélancolique prouve qu’il s’agit là d’un film sur une ville et plus globalement une nation. Gangs of New York est une œuvre magistrale évoquant de manière tragique et sans cynisme les sacrifices oubliés et finalement dérisoires d’individus prêts à tout pour défendre « leur » liberté.

Ce contenu a été publié dans Critiques. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.