Critique : He Got Game – Street Life

Poster du film He Got Game réalisé par Spike Lee. Denzel Washington regarde vers l'objectif et fait un signe de prière. Le visage de Ray Allen tenant un ballon de basket apparaît au second plan en effet miroir.

Jake Shuttlesworth a tué sa femme accidentellement. Pour ce meurtre, il purge une peine de prison alors que ses enfants grandissent dans Coney Island. Son fils Jesus est promis à une carrière de basketteur phénoménale et représente un véritable espoir pour son quartier.

Sa discipline, son envie et sa rigueur, c’est de son père qu’il les a tirées. C’est d’ailleurs à propos des attentes envers son fils que la dispute a éclaté le soir où Jake a commis l’irréparable. Pendant que Jesus attire les convoitises de nombreux agents, Jake garde la forme en enchaînant les paniers dans la cour, sous l’œil et le viseur des gardiens. Convoqué par le directeur de l’établissement pénitentiaire, il apprend qu’il pourra réduire sa peine s’il réussit à convaincre son fils d’intégrer l’Université d’Etat. Le compte à rebours est lancé et Jake dispose d’une semaine pour régler ses comptes et gagner sa liberté.

« You don’t make up for your sins in the church. You do it in the streets. You do it at home. The rest is bullshit and you know it », disait Martin Scorsese dans Mean Streets. Ces phrases sont peut-être celles qui résument le mieux He Got Game et la trajectoire de son personnage principal. Lorsque Jake sort de prison et retourne dans sa ville, rien n’a changé et le cadre est toujours le même. Les blocks dégagent la même poisse qui l’a affaibli mais de laquelle Jesus a su s’extirper.

Photographie en contre-plongée de Denzel Washington de le film He Got Game de Spike Lee. Il est adossé à une rambarde et observe le paysage.Jake, magistralement interprété par Denzel Washington, est sans doute l’un des personnages les plus touchants de l’univers de Spike Lee. Lorsqu’il sympathise avec une prostituée dans un immeuble miteux, joue au basket avec son fils ou fuit l’arrivée de la police après avoir savaté une ridicule petite frappe, Washington est magnifique. Dégageant une véritable humilité, Shuttlesworth assume chacun de ses actes sans implorer le pardon de ses enfants malgré le manque de proximité. Sa simplicité et son phrasé brutal contrecarrent à merveille l’arrogance derrière laquelle se cache Jesus.

Les deux ont des choses à rattraper et vont le faire sans complaisance, avec beaucoup de colère mais surtout un respect constant qui heurte le spectateur. Les Shuttlesworth sont forts mais se trompent et l’acceptent. Ancien blue-collar worker, Jake est devenu un véritable hustler, un débrouillard qui évolue habilement dans un univers extrêmement dur. A l’inverse, Jesus a tout pour réussir mais les risques sont aussi élevés. S’il s’écarte de sa passion pour succomber aux nombreuses tentations que lui offre sa carrière, le sportif ne deviendra qu’une gloire déchue de plus au lieu de s’élever comme le grand Jordan. C’est là que Jake, héros sacrifié dans le sens noble du terme, intervient sans faire la morale.

Photographie du film He Got Game réalisé par Spike Lee. Denzel Washington parle à Ray Allent sur un terrain de basket dans la rue.

Lorsque Spike Lee sort du cadre rationnel et s’offre une envolée lyrique dans la conclusion, on trouve quelques-unes des scènes les plus réussies sur le pouvoir des liens entre un père et son enfant. S’il y a deux choses que l’on ne pourra jamais enlever au cinéaste, ce sont sa sincérité et sa force de conviction. Le traitement peut paraître lourd, mais Lee y croit tellement qu’il parvient à en tirer des œuvres puissantes malgré leurs effets excessifs.

Le réalisateur a inventé une nouvelle manière de filmer la rue, à l’instar d’un Scorsese avec ses peintures de Little Italy. Portées par l’excellente bande-originale de Public Enemy, ses images ont influencé la grande majorité des rappeurs. Cette esthétique singulière, qui rend les rues et leurs habitants fascinants, continue d’inspirer aujourd’hui de nombreux artistes, à commencer par le prodige Joey Badass (Paper Trail, Like Me) et sa clique Pro Era. Les vrais gangsters sont ceux qui jouent leur vie sur le terrain, derrière un microphone ou un atelier. Le message est facile mais vrai et continuera de résonner grâce à Lee et sa descendance créatrice.

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