Il y a un passage de Joe qui nous a particulièrement enchantés. Nous sommes dans la deuxième partie du long métrage, au moment où tout fout le camp pour nos deux personnages principaux. Pourtant, le dur à cuire interprété par Nicolas Cage et le jeune adolescent qu’il tente de sauver partagent un moment de détente ensemble, isolés du reste du monde.
Nico apprend alors à Tye Sheridan des petites astuces qui permettent de mettre toutes les chances de son côté, notamment avec les filles. On retiendra bien sûr l’utilité du zippo, dont le claquement est un puissant aphrodisiaque pour la gente féminine. Mais ce dont on se souviendra, et pour longtemps, c’est la tête que Cage fait lorsqu’il a besoin de soutien. Quand il veut absolument convaincre une personne, Nicolas tire une moue triste mais optimiste. C’est cette tête qu’il a dû faire à son oncle Francis pour qu’il l’engage sur Rusty James. C’est également cette trogne qu’il envoie via Snapchat tous les jours à Jerry Bruckheimer pour le supplier de mettre un terme à la saga Benjamin Gates.
Ces dernières années, Cage a par ailleurs été victime de ce faciès. Depuis 2005, tous les réalisateurs les plus moisis d’Hollywood l’ont séduit avec, de Mark Steven Johnson à Simon West en passant par Joel Schumacher et Dominic Sena. Il y avait évidemment d’autres avantages dans leur projet, comme la possibilité d’épargner pour les trente années à venir mais aussi celle de profiter des coiffeurs les plus réputés du monde entier afin de rendre ses personnages crédibles.
De temps en temps, Cage a un éclair de lucidité. Son dernier lui avait permis de tourner avec Werner Herzog pour sa géniale adaptation de Bad Lieutenant. Depuis, plus de nouvelles. Cage s’était remis à jouer des types normaux (ce dont il est pourtant incapable) dans des téléfilms. Comme Herzog, David Gordon Green a compris que Cage était un fêlé, un type borderline qui tente de se contrôler alors qu’il est meilleur dans l’excès. Comme Joe.
A travers cette scène et tout le reste du film, on retrouve tout le talent du Cage d’A tombeau ouvert, du névrosé pas tellement refoulé de Leaving Las Vegas. David Gordon Green tire profit du talent de son comédien avec une montée en pression parfois lente, parfois mal rythmée mais qui ne manque pas de panache.
Si le scénario de Joe est prévisible, on est ravis de voir que Gordon Green abandonne la comédie, genre avec lequel il avait trouvé ses limites avec l’inoffensif Baby-sitter malgré après lui pour confirmer son retour au cinéma indépendant amorcé avec Prince of Texas. Si Joe n’a pas les qualités de mise en scène du Mud de Jeff Nichols, il nous embarque au cœur de l’Amérique oubliée prisée par de nombreux cinéastes en ce moment. Après Les brasiers de la colère, nous avons droit cette année à une deuxième histoire de rédemption touchante et prenante.
Ce que l’on apprécie dans Joe, c’est la manière que David Gordon Green a de traiter ses protagonistes à échelle humaine. Tous les personnages du film regorgent de colère mais ils n’ont pas la même façon de la gérer. Si Joe et Gary s’en sortent, c’est uniquement grâce à leur volonté et surtout à la chance qu’ils ont de se rencontrer. Mais cela ne fait en aucun cas d’eux des héros, contrairement à Matthew McConaughey dans Mud, qui était sublimé par sa part de mystère et l’impressionnante séquence finale. Joe et Gary ont simplement une part de bonté à l’inverse du père de ce dernier, une ordure à qui l’on doit une séquence d’une violence inouïe. Gary Poulter, l’interprète du paternel, était d’ailleurs un SDF, décédé quelques mois après le tournage. Si son jeu sonne aussi vrai, c’est parce que Poulter était lui-même un désaxé.
David Gordon Green refuse de tomber dans le spectaculaire jusqu’au bout. C’est ce qui fait tout le charme de son long métrage. Joe n’est pas un chef d’œuvre mais un film abouti, puissant. Malgré son manque de singularité et sa construction parfois maladroite, Joe respire la sincérité grâce à son réalisateur et ses deux comédiens. Le démon Cage est ressuscité et cette fois-ci, on espère qu’il ne retombera pas dans la normalité.
Quel dommage de ne pas avoir coupé au montage la scène dans laquelle Cage boitille après avoir pris une balle…un modèle de niaiserie à montrer dans toutes les écoles de comédiens. Dommage car sa prestation est quand même excellente. Celle du père aussi d’ailleurs, criante de vérité. Je ne savais pas qu’il s’agissait d’un rôle de composition, merci pour l’info 😉