Une fusillade éclate dans la Zone Commune de Sécurité qui sépare les deux Corée. Deux militaires nord-coréens sont retrouvés morts. Pour éviter que la situation dégénère, une enquêtrice suisse ayant des origines coréennes est envoyée sur place afin de questionner les soldats impliqués dans l’affaire. Alors que les dépositions diffèrent, l’enquêtrice peine à démêler le vrai du faux et à contenir l’incident diplomatique sur le point d’éclater.
Sorti en septembre 2000 en Corée du Sud, JSA – Joint Security Area débarque enfin dans nos salles grâce à La Rabbia. Premier grand succès d’un réalisateur aujourd’hui adulé dans le monde entier, le long-métrage est probablement, avec Mademoiselle, le film le plus touchant de Park Chan-wook. Moins abouti que ce récent chef d’œuvre, JSA révèle tout de même les talents de conteur d’un cinéaste qui manie parfaitement les flashbacks et les ellipses.
Le début du thriller rappelle celui de l’excellent Basic de John McTiernan, sorti en 2003 en France. Ce film réussit d’ailleurs, à l’image de JSA, à surprendre grâce à une narration non linéaire et à questionner sur l’ordre établi. Comme dans le long-métrage de McT, on découvre dans les premières minutes plusieurs cadavres et des soldats blessés, sous la pluie. La vérité n’éclatera bien sûr qu’à la fin et à l’instar de Basic, le spectateur est piégé par plusieurs versions de la scène de la fusillade. Enfin, comme le personnage de John Travolta, l’enquêtrice interprétée par Lee Yeong-ae débarque dans un environnement apparemment inconnu. Elle donne néanmoins d’emblée l’impression que les indices ne lui échapperont pas, notamment parce que les règles du système dans lequel elle enquête ne la concernent pas.
Rapidement, Park Chan-wook brise le rythme en nous plongeant dans les événements qui conduisirent à cette inévitable fusillade. A partir de là, le contexte politique n’est plus évoqué par le biais de l’incident diplomatique en cours mais à travers les rapports entre les soldats des deux camps qui se sont entre-tués.
L’impossibilité de parler avec les ennemis malgré la proximité, l’envie de fuir vers le Sud et le questionnement sur la légitimité du conflit se ressentent à travers les états d’âme de ces personnages, mais également grâce à des situations absurdes. Lorsque deux soldats du Nord tombent sur un militaire du Sud ayant mis le pied sur une mine dans les broussailles alors qu’il était parti faire ses besoins, la question du devoir patriotique est biaisée. Cette séquence tendue réussit à faire sourire le spectateur car les soldats font preuve d’une solidarité qui désamorce rapidement la dangerosité de la situation. La légèreté fait alors son entrée dans le récit et l’humour des soldats leur permet de contester en silence la hiérarchie.
Sans jamais prendre parti, Park Chan-wook réussit à dévoiler l’aspect dérisoire de la frontière pour les militaires qui y sont en service. Ces derniers n’ont d’autre choix que de taire leur envie de réconciliation et se cachent pour apprendre à se connaître. Un pétage de plombs simulé par le génial Song Kang-ho face à son supposé « ennemi » interprété par Byung Hun-lee devant leurs supérieurs illustre à merveille cette impossibilité de parler et la détresse qui en découle.
Grâce à la magnifique amitié qu’il construit autour de ces deux protagonistes, Park Chan-wook rend ces derniers plus importants que la scène de fusillade, point de départ pourtant extrêmement intrigant du film. Alors que le spectateur s’attendait à un whodunit classique, il découvre finalement un drame social parfaitement construit qui évoque une situation qui, 18 ans plus tard, n’a que très peu changé.
En réussissant à remettre l’intime et le regard des soldats au premier plan, auxquels les experts en géopolitique n’accordent généralement que peu voire aucun crédit, JSA provoque une remise en question sur un sujet autour duquel s’affrontent des opinions particulièrement tranchées. Le film propose donc un nouvel angle d’étude sur un débat apparemment cloisonné.
Comme le souligne la magnifique conclusion, le plus important dans JSA reste donc la vision de ces soldats, tourmentés entre leurs sentiments et la supposée vérité érigée par les diktats auxquels ils sont soumis. En osant passer d’un côté et de l’autre du pont qui sépare les deux Corée, Park Chan-wook éclate la frontière tout en révélant les peurs profondes qu’elle suscite chez les personnes qui tentent, tant bien que mal, de faire en sorte qu’elle ne soit pas violée. Thriller que le spectateur ne voit pas passer et qui le laisse la gorge nouée, JSA est une petite perle qui nous rappelle la maîtrise de l’un des meilleurs réalisateurs de sa génération, déjà extrêmement doué et dans l’ère du temps.