Critique : La couleur de l’argent – Perdre et gagner

Affiche du film La couleur de l'argent de Martin Scorsese. Nous y voyons le trio principal du film dessiné, Tom Cruise tenant une queue de billard, Mary Elizabeth Mastrantonio au deuxième plan assise et Paul Newman au troisième plan regardant de face avec un regard malicieux. Son dessin est le plus imposant.

Unique suite réalisée par Martin Scorsese, La couleur de l’argent nous ramène sur les traces d’Eddie Felson, le fameux joueur de billard frimeur et malchanceux que l’on découvrait en 1961 dans L’arnaqueur. 25 ans plus tard, Eddie a raccroché le billard, fait son trafic de whisky tranquillement et n’a jamais perdu l’envie de faire de l’argent. Lorsqu’un soir le jeune Vincent débarque dans sa salle et humilie l’un des habitués, Eddie voit en lui un poulain qui pourrait lui rapporter gros.

La dualité entre le jeune bourré de confiance et le vieux briscard malin a rarement été aussi bien mise en scène au cinéma. Vincent est un as trop arrogant pour gagner alors qu’Eddie a muri et s’il est le même hustler qu’en 1961, il a appris de ses erreurs et a su se faire discret.

A travers de rares allusions au long métrage de Robert Rossen, Martin Scorsese fait le lien mais laisse une énorme part de mystère au personnage d’Eddie. Ce qu’il s’est passé en 25 ans n’a finalement pas d’importance. Eddie voit en Vincent l’occasion de se réinventer et si ce dernier lui pique la vedette durant les premières scènes, il est vite relayé au rang de pion doué mais dispensable. Commence alors un jeu de manipulation entre Eddie, Vincent et Carmen, sa petite amie qui sait pertinemment qu’il peut ramener beaucoup d’argent. Après la sublime introduction où Paul Newman observe avec le spectateur le talent de Vincent commence un road movie où Eddie deviendra de plus en plus partagé entre l’envie de former le jeune et la nécessité de se servir de lui.

Photo de Tom Cruise et Paul Newman dans le film La couleur de l'argent de Martin Scorsese. Les deux acteurs sont assis dans une salle de billard et paraissent concentrés sur une partie.

Scorsese crée une véritable hiérarchie entre les personnages. Il filme Vincent en train de danser et de parader autour de la table de billard alors qu’Eddie et Carmen sont statiques, assis sur des chaises surélevées et attendant patiemment que le joueur respecte les consignes et amène les billets. L’un joue pour la gloire et se précipite alors qu’Eddie patiente pour faire gonfler les gains.

La couleur de l’argent ne se limite pas à une simple histoire de rivalité et de transmission. Le film montre surtout l’évolution de Felson, la perte de ses réflexes au jeu et dans l’arnaque. Les nouvelles générations finissent toujours par prendre le pas sur les anciennes et Felson va rapidement s’en rendre compte. Sa quête personnelle est magnifiquement aboutie dans la dernière partie centrée sur un tournoi où Felson devra refaire ses preuves.

Photo du film La couleur de l'argent de Martin Scorsese. Nous y voyons Paul Newman de dos, en train de contempler une salle de billard vide et éclairée.

Au lieu de signer des séquences répétitives lors des parties de billard, Scorsese multiplie les angles, les changements de point de vue et la variété de plans donne l’impression que l’on a passé le film dans une salle enfumée. Comme toujours, le cinéaste s’adapte à ses personnages et à leur environnement. Lorsque Vincent joue, le montage de Thelma Schoonmaker, fidèle acolyte du cinéaste, s’accélère. A l’inverse, Felson est un joueur posé et concentré et les ellipses retranscrivent à merveille l’épuisement vécu par un joueur qui n’a rien perdu de sa superbe.

On sort de La couleur de l’argent rincé et le billard à 9 nous est devenu familier, au même titre que le véhicule de Taxi Driver, les rings de Raging Bull ou les ambulances d’A tombeau ouvert. Porté par un trio en or, le film rapporta à Paul Newman son seul Oscar. Enième chef d’œuvre de la filmographie de Scorsese, La couleur de l’argent impressionne par cette capacité à sublimer des protagonistes tout en s’appropriant un cadre singulier et en ne négligeant jamais la trajectoire du scénario.

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