Le majordome est probablement l’un des films de l’année 2013 vis à vis duquel nous avions le plus de préjugés. A l’époque de Precious, le réalisateur Lee Daniels avait emballé la critique, le public et avait fait le tour de nombreux festivals grâce à une mise en scène racoleuse qui forçait sur le pathos.
Avec Le Majordome, Daniels continue son cinéma engagé et s’attaque à un parcours hors norme, celui de Cecil Gaines, majordome de sept présidents américains de Dwight Eisenhower à Ronald Reagan. Pour aborder une vie aussi riche et intéressante, le cinéaste avait l’obligation de faire preuve de subtilité et de proposer à son spectateur un propos plus nuancé que celui de Precious et Paperboy.
Si la réalisation du Majordome n’est jamais parsemée d’éclats de génie malgré d’excellentes idées, le long métrage reste néanmoins le plus abouti de son auteur. On s’attendait à découvrir les rapports que Gaines entretenait avec certaines des figures les plus importantes du XXème siècle. Le résultat est finalement assez différent.
Volontairement, Daniels a placé les présidents en retrait, préférant se concentrer sur les rapports que Gaines entretient avec son fils, un militant qui croisera le chemin de Martin Luther King et des Black Panthers. Le conflit générationnel est l’élément central du film et les réactions du père et du fils reflètent le changement d’un pays touché par des injustices combattues différemment par les deux hommes. Là où Cecil préfèrera s’élever et surpasser la condition que la société voulait lui donner, son fils se révoltera et s’engagera dans des mouvements contestataires. Dans les deux cas, la liberté est le but principal mais les moyens sont différents.
Daniels aborde en profondeur la situation familiale des Gaines, déchirée à cause des points de vue divergents sur les inégalités d’un pays gangréné par la ségrégation et la guerre du Vietnam.
Evidemment, on retrouvera des moments avec les présidents qui révèleront des facettes très intéressantes de leur personnalité. Les passages avec Nixon, interprété par John Cusack, sont un régal, notamment lors du scandale du Watergate jamais évoqué directement. On retiendra également l’assassinat de Kennedy et la réaction de sa femme Jackie dans une séquence subtile qui prouve que Daniels a gagné en retenue et en sobriété.
Au niveau de l’interprétation, Forest Whitaker est prodigieux. Loin de ses récents excès dans des nanars obscurs (Catch 44, Unités d’élite), il effectue une performance aussi impressionnante que celles de Bird, Ghost Dog et Le dernier roi d’Ecosse. Les deux autres comédiens que l’on retiendra principalement sont Oprah Winfrey, méconnaissable et géniale et David Oyelowo (Jack Reacher), espoir montant qui traverse les époques sans difficulté et réussit à retranscrire parfaitement l’évolution de son personnage.
Le reproche que l’on peut faire au Majordome est d’être un excellent cours d’histoire durant ses deux premiers tiers. Daniels enchaîne les péripéties avec une certaine austérité et peine à conférer une force émotionnelle à son récit. En revanche, on ressent toujours la sincérité de l’entreprise et la dernière partie est un message d’espoir et de remerciements émouvants malgré sa bien-pensance. Les cinq dernières minutes sont brillantes. Voir Gaines terminer sa vie sur un événement a priori inconcevable s’avère bouleversant.
Le majordome est un film académique qui manque clairement d’originalité mais qui se révèle passionnant de bout en bout. Entouré d’un casting prestigieux, Lee Daniels signe un long métrage fédérateur et prouve qu’il a gagné en maturité.