Scénarisé par les frères Coen et mis en scène par Steven Spielberg, Le Pont des Espions revient sur la défense d’un espion russe magistralement opérée par Jim Donovan en pleine Guerre Froide aux Etats Unis. Avant d’entamer le procès, Donovan était un avocat spécialisé dans les assurances.
Dans le choix de mettre en images le destin de ce citoyen, nous retrouvons les thématiques chères au réalisateur et sa filiation avec le cinéma de Frank Capra. Sa capacité à conter d’extraordinaires histoires menées par des héros inconnus, Spielberg l’a alliée à la magistrale écriture des frères Coen. Le Pont des Espions en devient ainsi plus subtil dans sa manière d’amener son propos. Dans le long métrage, les idiots des frères Coen ne sont jamais caricaturaux et les héros de Spielberg paraissent encore plus nuancés qu’auparavant.
Cette fusion se ressent pleinement à travers le personnage de Rudolf Abel, espion russe que l’on découvre dans une reconstitution impressionnante du New York des années 50 lors de l’ouverture. Interprété par Mark Rylance, Abel observe énormément, parle très peu de lui et paraît très calme. L’ironie de certains de ses dialogues rappellent immédiatement les Coen, au même titre que son supposé détachement qui masque une véritable profondeur. La réceptivité de Tom Hanks face à ses traits d’esprit est superbement exprimée par le comédien et le montage.
La relation entre Rylance et Hanks, leur détermination et leur sagesse font du Pont des Espions le film d’espionnage le plus touchant depuis La Taupe. Mais c’est le parallèle qui est fait entre eux et le sombre paysage qui les entoure qui rend l’œuvre passionnante.
Alors que Rudolf opte pour la loyauté silencieuse, Donovan fait preuve de ténacité et est amené à croiser de nombreux protagonistes mystérieux. Lorsque Spielberg filme une filature sous la pluie ou la traversée de Berlin enneigée en pleine nuit, la tension vécue par le héros est palpable. L’atmosphère est pesante, lourde et les doutes se multiplient comme c’était déjà le cas dans l’excellent Munich.
A l’inverse du groupe mené par Eric Bana, Donovan choisit la diplomatie et la ruse. Homme de son temps, l’avocat n’hésite jamais à se mettre en retrait pour mieux s’affirmer par la suite, respectant les engagements de chaque parti. L’hallucinante chute d’un avion dans le vide devient une pièce centrale dans le récit lorsque l’on voit en quoi elle influe sur son parcours. Chaque sous-intrigue prend petit à petit une importance colossale, en particulier dans l’impressionnante conclusion.
Donovan comprend le monde qui l’entoure, parvient à anticiper les réactions de ses opposants afin d’en tirer parti avec de nobles intentions. En cela, Le Pont des Espions bouleverse. Construire l’avenir à partir d’événements qui nous dépassent est une idée pas si naïve à laquelle Spielberg s’est intéressée toute sa carrière. Elle prend une nouvelle fois forme dans un spectacle total et nécessaire magnifié par l’écriture ingénieuse des Coen.
C’est vrai que par certains aspects, outre la thématique évidente de l’espionnage, Le pont des espions fait penser à la Taupe, surtout dans le cadrage et le grain de l’image. Après avoir vu le film de Spielberg, je n’avais qu’une chose en tête, ce réalisateur est un maître.