Revenu cette année sur le devant de la scène avec Hacker, Michael Mann a une nouvelle fois su s’adapter aux problématiques de son époque pour en tirer un thriller moderne et en avance sur son temps. C’est souvent le cas avec Mann. En 1981, le cinéaste réalisait Le Solitaire, un film de gangsters à l’esthétique léchée qui, à l’inverse de Scarface, n’est jamais kitsch et possède un charme vintage.
Annonciateur de fabuleux polars à l’image de Drive, Le Solitaire est un modèle du genre qui, malgré la distance installée par la mise en scène entre le spectateur et le récit, présente un personnage complexe et inoubliable. Le braqueur Frank est bien plus paradoxal et contradictoire que le conducteur de Drive. Ayant passé un tiers de sa vie en prison, l’homme souhaite rattraper le temps perdu et vivre la grande vie tout en restant extrêmement discret et sérieux dans ses affaires. On retrouve là un point commun avec le Neil McCauley de Heat, autre individu ultra charismatique de l’univers de Mann.
A la fois loyal et distant, Frank tente par tous les moyens de passer au dessus de sa nature. Michael Mann bouscule les codes du thriller et met en avant un individu qui ne connaîtra pas de rédemption mais retombera dans le milieu du crime organisé et retournera à ce qu’il sait faire de mieux. On a souvent reproché à Mann de favoriser la technique au récit. C’était le cas pour l’excellent Miami Vice, dont l’utilisation du numérique avant sa démocratisation avait soulevé de nombreuses critiques. Pourtant, le cinéaste dresse à chaque film le portrait de solitaires obligés de remettre leur vie en question lors de l’arrivée d’un autre protagoniste.
Dans Le Solitaire comme dans de nombreux longs métrages de l’auteur (Public Enemies, Le dernier des Mohicans), c’est une femme qui bouleverse la trajectoire criminelle de Frank et le force à remettre ses convictions en question et sortir de l’ombre. Ces thématiques récurrentes et reprises par de talentueux réalisateurs (Nicolas Winding Refn, Ben Affleck), Michael Mann a parfaitement su les intégrer à son cinéma et a permis l’évolution d’un genre qui a bien changé depuis le film noir.
Au-delà du portrait d’un homme en dehors des standards, relativement froid et antipathique, c’est la peinture du monde criminel qui s’avère remarquable et qui fait du Solitaire un film précurseur, comme l’étaient L’année du dragon et Police Fédérale Los Angeles. Si le long métrage est essentiellement centré sur Frank et sa femme interprétée par Tuesday Weld (Il était une fois en Amérique), il laisse tout de même entrevoir son entourage. On retiendra l’apparition de Willie Nelson en prisonnier dans une émouvante séquence reprise dans The Town mais surtout l’acolyte de Frank (James Belushi), volontairement en retrait, et le caïd incarné par Robert Prosky. A l’opposé des gangsters flamboyants des maîtres du Nouvel Hollywood, ce dernier est une crapule sans dignité. Le décalage entre l’image habituelle que l’on a du comédien (Last Action Hero, Christine) et la nature de Leo fait que l’on adore détester ce personnage.
Le Solitaire surprend par son rythme et la sauvagerie de son dernier acte. Après de nombreuses confrontations tendues et une présentation méticuleuse du métier de Frank, Michael Mann sort les armes dans la dernière partie et révèle toute la bestialité de James Caan (Le Parrain), constamment sur le point d’exploser. Les plans symétriques dans les diner, les longs travellings et cette plongée dans le Los Angeles nocturne représentent à merveille l’univers de Michael Mann. Ce coup d’essai demeure probablement son œuvre la plus aboutie. On sent ici l’inspiration d’un jeune cinéaste qui ne laisse rien au hasard et dont la précision continue d’inspirer les générations futures. Avec la musique électrique de Tangerine Dream qui surpasse les compositions de Moroder sur Scarface, Le Solitaire s’impose comme le film de gangsters du début des années 80, porteur de toutes les thématiques de celui qui a réinventé le thriller et a su évoluer avec son temps.