Avec Le Voyeur, Michael Powell s’intéresse à un scénario atypique et éloigné de ses œuvres flamboyantes comme Les Chaussons Rouges ou Le Narcisse Noir, réalisées avec son compère Emeric Pressburger. Ecrit par Leo Marks, cryptographe durant la Seconde Guerre Mondiale et passionné de psychanalyse, le film dévoile au public les meurtres de Mark, opérateur-caméra dans un studio et photographe érotique à ses heures perdues.
A la fois acteur, metteur en scène et spectateur de ses crimes, Mark revoit par la suite les films dans son atelier pour capter la peur sur le visage de ses victimes confrontées à leur mort. Ne rendant jamais le public complice, Michael Powell le rapproche néanmoins du tueur en suscitant l’empathie et surtout en évitant de déshumaniser Mark, incarné par Karl Böhm, fébrile et réservé. A travers la relation que ce dernier entretient avec sa voisine qu’il refuse de filmer, Powell donne l’impression que Mark souhaite s’affranchir de l’emprise de sa caméra. Plus complexe que le Norman Bates de Psychose sorti la même année, le tueur n’est pourtant libéré que par ses images et la peur qu’il y trouve.
Ayant subi des sévices mis en image par son père lorsqu’il était enfant, Mark a désormais un rapport inverse à la caméra. Se nourrissant de la peur de ses victimes, Mark est à la recherche d’un sentiment disparu qui ne réapparaîtra que lorsqu’il se retrouvera face à sa propre mort. A de multiples reprises au cours du long métrage, Mark semble vouloir être arrêté et entendu sur ses agissements mais se réjouit tout de même du secret désormais partagé avec le spectateur.
Ce dernier se retrouve donc lui aussi dans la peau d’un voyeur. La perversité de la relation de Mark avec la caméra provoque un véritable malaise chez le public qui questionne son statut. Mais Powell ne légitime en rien les actes de Mark, en quête d’une horrible perfection. Le spectateur trouve dans les images du cinéaste une perfection artistique et un sens de l’immersion qui provoquent le dégoût de la situation mais la fascination d’une mise en scène mêlant plans subjectifs, images provenant de la caméra de Mark et effets de lumière parfaitement chorégraphiés. Alors qu’elle scintillait dans Les Chaussons Rouges, la fameuse couleur ne provoque ici qu’horreur et effroi.
L’utilisation des couleurs rappelle les passages d’hallucination de Shock Corridor, où Samuel Fuller analysait l’effondrement d’un journaliste sain d’esprit lors d’une enquête dans un asile psychiatrique. La capacité que Powell et Fuller ont pour rendre l’atroce et le dérangeant beau d’un point de vue cinématographique a fait d’eux des cinéastes anticonformistes et surtout novateurs.
Détruit par la critique anglaise lors de la sortie, Le Voyeur est une œuvre résolument moderne précurseur d’un genre qui ne cessera d’évoluer grâce à Dario Argento (Suspiria), Brian De Palma (Pulsions) et beaucoup d’autres. Powell réalise un long métrage basé sur la violence de son personnage et construit autour un récit qui va plus loin que le choix des victimes et l’exécution d’un plan macabre et répétitif. Histoire d’amour impossible tuée au nom de la fascination pour les images, Le Voyeur assume entièrement son côté romantique et brise ainsi la facilité de jugement du spectateur, qui remet en cause son rôle et restera longtemps marqué par le film.