Pendant que Meyer Lansky dominait Las Vegas et La Havane, les frères Kray et leur gang envahissaient Londres. Legend aborde le parcours de ces deux jumeaux qui ont marqué leur temps mais dont le nom n’est jamais devenu aussi familier que celui des criminels américains de la grande époque. Derrière cette adaptation de The profession of violence de John Pearson, nous retrouvons Brian Helgeland, brillant scénariste de L.A. Confidential et Mystic River.
Malheureusement, le réalisateur ne retrouve ni la puissance émotionnelle ni la tension permanente qui émanaient de ces deux films inspirés des œuvres de James Ellroy et Dennis Lehane, deux cadors du polar américain. Le scénario de Legend ne décrit pas l’ascension progressive des frères Kray. Le récit débute alors que les Kray sont déjà surveillés par Scotland Yard et leurs activités néfastes sont évoquées uniquement lors de conversations entre les frères ou lors de réunions avec la mafia venue d’outre-Atlantique afin de négocier un éventuel partenariat.
Le spectateur découvre surtout les frères dans le club qu’ils possèdent et où les décisions les plus importantes sont prises. C’est dans ce lieu que Reggie Kray, le plus équilibré des deux gangsters, séduit la femme de sa vie, Frances, interprétée par Emily Browning. Le film gravite autour de ce personnage essentiel. Elle est à l’origine des disputes, des réconciliations et de l’éloignement que traversent Reggie et Ronnie. Les seuls moments où les deux fous parviennent à montrer un brin de tendresse arrivent lorsqu’ils sont en présence de Frances. Legend met beaucoup plus l’accent sur la romance entre elle et Reggie et ses retombées que sur le parcours atypique des jumeaux bagarreurs.
On est déçus de voir que Legend n’est pas la fresque tant attendue sur le Londres des années 60. On se console néanmoins avec une reconstitution impeccable des rues de la capitale anglaise. Lorsque Reggie Kray déambule dans son quartier en saluant les habitants, on pense bien sûr au monologue de Henry Hill dans l’introduction des Affranchis et l’influence du film de Scorsese continue de se faire ressentir en 2015. Helgeland n’a pas la prétention d’égaler son prédécesseur en matière de mise en scène et Legend n’est jamais marqué par la virtuosité et la fluidité des chefs d’œuvre du genre.
En revanche, on est bluffés lorsque Tom Hardy se bat contre Tom Hardy. Dès que Reggie et Ronnie partagent l’écran, la réalisation est sans défaut et l’on a vraiment l’impression d’assister à un combat de coqs entre un illuminé et une brute épaisse. Mais les frères Kray sont loin de se limiter à ces traits de caractère grossiers. Et c’est là que l’acteur effectue un nouveau tour de force.
D’un côté, Reggie accumule la pression de toute sa famille, veille sur son frère et bouillonne à force d’être entouré d’individus gourmands et moins futés que lui. De l’autre, Ronnie est atteint de schizophrénie et de paranoïa, se montre obsédé par l’acceptation de son homosexualité et n’a aucun filtre envers les personnes qui alimentent son business. Le duo ne pouvait qu’exploser et les séquences où les deux s’adonnent à la démolition du gang ennemi sont particulièrement jouissives. Mais on retient surtout les scènes où Hardy prend le temps de s’exprimer, avec deux élocutions particulières et un sens du discours qui ne manque jamais de lucidité malgré la folie des jumeaux.
S’il est une déception sur le plan narratif et émotionnel, Legend vaut largement le détour pour les deux prestations phénoménales d’un comédien à qui tout réussit. Brian Helgeland retrouve la violence de Payback mais également sa difficulté à insuffler du rythme à un récit original et parfois touchant qui aurait mérité mieux que ce traitement formel.