Huit individus se regroupent dans une mercerie pour échapper au blizzard. Entre manipulation et complots, chacun cache son jeu et les huit menteurs sont sur le point de passer une très longue nuit.
Long métrage scindé en plusieurs actes, Les huit salopards constitue, au même titre que le dyptique Kill Bill, un fantasme de metteur en scène et de spectateur. Tourné en 70 mm, le western s’ouvre sur de larges étendues désertes et blanches. En découvrant un Christ enneigé, on comprend immédiatement qu’il ne sera pas là pour guider les personnages dans leur parcours.
La neige renvoie à The Thing, monument de paranoïa de John Carpenter pour lequel Ennio Morricone avait composé des notes électroniques particulièrement oppressantes reprises ici. Dans Les huit salopards, le monstre ne se réfugie pas dans un chien avant de décimer toute une bande de scientifiques. L’horreur vient de ces huit crapules qui ne connaissent ni bonté, ni pitié. Chaque salaud a des traits de caractère prononcés et explore la cruauté à sa manière. Entre récit de viol et torture, Tarantino pousse la surenchère et Les huit salopards est l’une de ses œuvres les plus sauvages et immorales.
Dans la première partie, Tarantino s’amuse avec ses dialogues, fait tourner les personnages en bourrique et le spectateur avec. Assez lente, la mise en place permet de se faire des fausses idées sur un long métrage qui prend une trajectoire opposée une fois l’entracte terminé. Tarantino se réapproprie le mythe de la diligence immortalisé par John Ford dans La chevauchée fantastique. A l’intérieur, on ne trouvera aucun jeune acteur au regard flamboyant incarnant un bandit au grand cœur venu protéger ses occupants.
Nous pénétrons ensuite dans la mercerie qui est peu à peu plongée dans le chaos. Le public doute constamment de la crapule qui tire les ficelles et finira par devenir la victime d’un nouveau bourreau. Certains sont cyniques, malins et sadiques. D’autres sont silencieux, pervers et sournois. Tarantino nous plonge dans une pièce où seule compte la capacité à duper l’autre le plus rapidement possible.
Lorsque Les huit salopards reprend pour sa seconde partie, le rythme bascule complètement. Le metteur en scène joue avec la chronologie comme il a toujours si bien su le faire. Les surprises s’enchaînent et l’on assiste à un déchaînement proche du dernier tiers de Django Unchained.
On retrouve dans Les huit salopards une part de tous les anciens films de Tarantino (la manipulation de Jackie Brown, la violence fulgurante d’Inglourious Basterds, le huis clos de Reservoir Dogs) mais l’on assiste tout de même à un objet unique, doté d’une ambition semblable aux productions de l’âge d’or hollywoodien et n’hésitant jamais à pousser la barbarie à son paroxysme.
Si l’on est encore incapable de dire si Les huit salopards est l’un des meilleurs Tarantino ou non, on peut d’ores et déjà affirmer que c’est le plus cocasse avec le grand Jackie Brown. Cette galerie d’ordures victimes du mauvais temps est avant tout extrêmement drôle. La violence est omniprésente pour renforcer la tension mais elle crée surtout de brillants effets comiques. Tarantino tire le meilleur de ses acteurs, à commencer par le charisme de Samuel L. Jackson pour les speeches, la bonhommie de Tim Roth, le côté bourru de Kurt Russell ou le regard vide de Michael Madsen. Tous prennent à contre-pied les attitudes qui les ont rendus célèbres. Cela rend le long métrage jouissif et permet de conserver l’effet de surprise pour le spectateur, heureux comme un enfant devant tout ce sang versé. Tarantino ridiculise la violence grâce à ces personnages jamais flamboyants comme pouvaient l’être Les douze salopards d’Aldrich.
En montrant la bêtise, le manque de précaution et de répartie ou les maladresses de ses protagonistes, Tarantino les rend pathétiques et signe sans doute le plus beau foutoir que l’on verra au cinéma en 2016. Radical, le metteur en scène s’offre une œuvre sans limite, à la fois dans sa manière de présenter ses paysages, les conversations anecdotiques de ses salopards et leur fâcheuse tendance à tirer plus vite qu’ils ne pensent.