Après l’excellent La Chasse, Thomas Vinterberg abandonne le Danemark et nous invite dans le Wessex de l’Angleterre victorienne des années 1880. Sixième adaptation du roman de Thomas Hardy, Loin de la foule déchaînée surpasse les récentes productions en costume et s’impose comme la meilleure surprise du genre depuis le Jane Eyre de Cary Fukunaga.
Comme dans ce dernier, c’est la magnifique photographie qui nous a d’abord séduits. Les contrastes nous rappellent les grandes années du Technicolor. Lorsque l’on entre sur les terres des personnages interprétés par Carey Mulligan et Matthias Schoenaerts, nous retrouvons le sentiment de découvrir un paysage vierge de tout conflit, comme c’était le cas dans L’homme tranquille de John Ford où John Wayne retournait dans son Irlande natale afin de s’installer à Innisfree.
Grâce à la luminosité qui traverse le film, la réalisation nous rappelle également les plans en Italie de Chambre avec vue et de la maison de campagne de Retour à Howards End, deux magnifiques longs métrages de James Ivory. C’est dans ces lieux que les héroïnes, qui ont de nombreux points communs avec celle de Loin de la foule déchaînée, se recueillent et peuvent pleinement vivre selon leurs choix.
La paix est de courte durée dans le film de Vinterberg puisque nous suivons les tourments amoureux de Bathsheba, qui vient de s’installer dans la ferme qu’elle a hérité de son oncle. Là-bas, elle rencontrera trois hommes. Le premier est un éleveur qui vient de perdre son troupeau de moutons et qu’elle engagera par la suite. Le deuxième est un riche voisin qui tombe rapidement amoureux d’elle et souhaite l’épouser. Le troisième est un sergent au tempérament impétueux qui séduira Bathsheba après avoir manqué son mariage avec la femme de sa vie.
Entre ces trois hommes, Bathsheba va devoir faire un choix. Voulant être sûre de ses décisions, l’héroïne va subir la pression des autres personnages en les faisant patienter ou en renonçant à leurs demandes. L’œuvre de Thomas Hardy, au même titre que les romans de Jane Austen et des sœurs Brontë, est une référence dans la présentation d’un protagoniste féminin autonome forcé de se battre contre les conventions. A l’écran, Vinterberg parvient à rendre cette lutte extrêmement touchante, d’autant plus que Bathsheba n’est pas à l’abri de faire une erreur. Bien décidé à choisir la trajectoire que sa vie prendra, ce personnage brillamment incarné par Carey Mulligan (Inside Llewyn Davis) se remet en question, doute et se trompe à plusieurs reprises.
Vinterberg apporte des nuances à chacun des protagonistes masculins ainsi qu’à son héroïne. Nous découvrons les hommes à travers le regard de Bathsheba et les apparences sont souvent trompeuses. Le metteur en scène ne tombe pas dans la critique acerbe d’une époque étouffante et parvient à retranscrire la grâce qui émanait du livre de Hardy, grâce au jeu de Mulligan mais aussi à la prestation toute en retenue de Matthias Schoenaerts et Michael Sheen.
Après une préparation de plusieurs mois, chaque comédien a su faire preuve d’une véritable maîtrise et se fond naturellement dans l’univers créé par Vinterberg. La mise en scène classique et magistrale qui ramène à La fille de Ryan de David Lean, la partition de Craig Armstrong et la sublime chanson de Carey Mulligan servent également à faire de Loin de la foule déchaînée une des meilleures transpositions à l’écran du roman de Hardy et permettent à Vinterberg d’exceller dans un registre jusque-là inconnu.