En 1979, George Miller réalisait l’une des meilleures dystopies avec le premier Mad Max. En s’inspirant notamment de Point Limite Zéro et des classiques de la littérature post-apocalyptique, le cinéaste créait un environnement désertique survenu après les chocs pétroliers, les guerres et les ravages causés par l’ère nucléaire.
Au cours de cette fabuleuse trilogie, nous croisions des gangs de motards sadiques face auxquels se dressait Max Rockatansky, ancien policier à la vie brisée transformé en guerrier de la route et représentant l’un des derniers vestiges de notre civilisation. 30 ans plus tard, Max revient dans un monde encore plus fou pour livrer un combat aux enjeux multiples. Quant à son créateur, George Miller, il vient tout juste d’accomplir un miracle que l’on ne pouvait espérer et signe un film unique qui, on l’espère, marquera un tournant dans le cinéma d’action.
Evidemment, on ne peut résumer Fury Road à ses scènes spectaculaires. Il y a d’abord l’introduction du personnage de Max, devenu sauvage et condamné à suivre ses instincts primaires. Tout en grognements, Max continue d’être le spectateur du chaos qui l’entoure et ne cherche qu’à survivre. Avant de voir apparaître le titre à l’écran, nous découvrons l’une des séquences d’ouverture les plus ahuries jamais filmées. En utilisant un procédé d’accélération qui rend le montage percutant et qui fait vivre au spectateur la fuite impossible de Max, Miller l’épuise et lui fait comprendre qu’il devra attendre avant d’apercevoir une lueur d’espoir.
Mad Max devient alors prisonnier d’une société où les seuls restes de notre monde sont des moteurs v8, quelques armes et de l’eau rationnée devant laquelle il est interdit de s’asservir. Miller filme les corps décharnés, meurtris et malades s’agenouillant au bas de la montagne tenue par Immortan Joe. Le tyran cache ses blessures derrière son armure et son masque effrayant. S’imposant lui-même comme un dieu, Joe voit son contrôle sur la ville remis en question par l’Imperator Furiosa, une Walkyrie ayant pris la fuite avec ses précieuses reproductrices.
La faiblesse du langage, l’expression par vulgaires onomatopées et la sacralisation des objets de l’ancien temps témoignent de la disparition de toute culture. Si les soldats de Joe prônent la violence et le sacrifice, ils ne sont que les pantins contrôlés par une bête de foire qui ne songe qu’à sa descendance. L’abondance a causé la chute de l’espèce humaine et la disparition du progrès. Comme dans les précédents opus, l’économie des balles est nécessaire pour Max, véritable anarchiste et rare personnage qui se rapproche du mot liberté, au même titre que Furiosa. Obligés de sombrer dans la violence pour s’échapper de cette société archaïque, les deux héros vont livrer une guerre et traverser l’enfer pour tenter de ramener un semblant d’humanité dans le désert. Une nouvelle fois, Max se retrouve dans un combat qui n’est pas le sien et tous les personnages féminins qui l’entourent feront émerger du solitaire le peu d’empathie qu’il lui reste. C’est d’ailleurs ce qui est parfaitement retranscrit dans la relation entre Max et Furiosa, deux individus habitués à la trahison planqués derrière un maquillage barbare et un masque durant une bonne partie de l’œuvre. Personne n’aurait pu mieux prendre la relève de Mel Gibson que Tom Hardy, comédien rugueux capable de communiquer uniquement par le regard comme il l’avait déjà si bien prouvé dans Des hommes sans loi, Quand vient la nuit et The Dark Knight rises.
Au niveau du propos et de la technique, Miller signe le film le plus novateur que l’on ait vu depuis Matrix. Capable de limiter les effets numériques, de penser son film en 3D, le réalisateur réinvente les courses poursuites et fait preuve d’une imagination sans limite. On pense notamment à la gigantesque scène de la tempête de sable. Si son film est terriblement violent, chaque effet est justifié au nom de la folie des soldats envoyés pour tuer Max et Furiosa, qui n’ont que leur ingéniosité et surtout leur complémentarité pour s’imposer. Lors d’une séquence de nuit, Miller nous rappelle l’importance de préserver ce qu’il nous reste et l’on comprend que le visionnaire filme ce chaos et cette furie pour ne pas oublier que la beauté et l’espoir sont juste en face de nous. Il faut parfois descendre très bas pour comprendre ce que l’on a. Mad Max et Miller l’ont compris. Utiliser le Cinéma comme un aussi bel outil de transmission sans jamais oublier sa notion de grand spectacle reste la preuve que nous avons là un art extrêmement complet qui n’a pas fini d’être transcendé.