Lorsque son frère Joe succombe à un arrêt cardiaque, Lee est désigné comme tuteur pour Patrick, son neveu âgé de 16 ans. Afin de s’occuper des funérailles de Joe, Lee revient dans Manchester, une ville qu’il a quittée depuis quelques années et dans laquelle il a laissé de douloureux souvenirs.
La premier élément qui frappe dans Manchester by the Sea est le cadre qui contribuait déjà largement à la beauté de l’affiche. L’ouverture sur une partie de pêche entre Joe, Patrick et Lee donne un aperçu de la côte froide, rugueuse et profondément charmante sur laquelle les trois hommes vivent. La ville du Massachussetts est présentée à travers des plans fixes que Kenneth Lonergan fait durer et qui s’enchaînent sur la partition classique et brillante de Lesley Barber.
Comme dans Mademoiselle de Park Chan-wook, les compositions pour le long métrage viennent appuyer, sans la pudeur qu’ont les images, des émotions qui prennent à la gorge pendant près de 2h20.
La retenue qui se dégage de chaque séquence de Manchester by the Sea nous terrasse à de nombreux moments. Kenneth Lonergan alterne entre flashbacks dans le passé heureux de Lee où la luminosité éclaire en permanence Casey Affleck et son présent bien plus terne. Cette gestion du temps permet de dévoiler un récit tragique en provoquant à plusieurs reprises la surprise du spectateur, notamment lors d’un événement bouleversant révélé à la moitié de l’œuvre qui renverse toutes les idées du public.
En jouant avec la temporalité, le réalisateur crée des attentes envers un scénario qui aborde des thématiques redondantes. Elles sont par la suite brisées alors que Lonergan n’a jamais recours au spectaculaire ou aux artifices faciles. Manchester by the Sea ne nécessite pas de voix off, de rédemption illusoire ou de misérabilisme pour que le spectateur veuille le meilleur pour les personnages qu’il découvre jusqu’à la conclusion à la fois sobre et déchirante.
Kenneth Lonergan ne se contente pas de parler du deuil, de la difficulté de le surmonter et du pardon qu’on espère se voir attribuer. Sans tomber dans le fatalisme, Manchester by the Sea préfère montrer la nécessité de vivre avec nos erreurs sans pour autant les accepter, le besoin de se couper d’un environnement pour l’oublier malgré toutes les attaches qui s’y trouvent. L’obligation pour Lee de revenir dans un monde qu’il affectionnait plus que tout et dans lequel il n’arrive plus à pénétrer sans souffrir offre de nombreuses nuances.
La complexité des situations passe énormément par les expressions de Casey Affleck et ses partenaires. La bonté avec laquelle son ex femme interprétée par Michelle Williams l’observe lors de l’enterrement, la vision du corps inanimé de son frère ou encore la crise de panique vécue par Patrick témoignent de toute la justesse dont les meilleurs mélodrames sont emprunts. L’importance des regards et des silences que l’on a pu voir chez Joseph Mankiewicz (Eve), William Wyler (La rumeur) ou Yasujiro Ozu (Le fils unique) se retrouve chez Kenneth Lonergan.
Sans s’interdire certains éléments de mise en scène au profit du réalisme, le cinéaste signe avec Manchester by the Sea un monument de pudeur et de mélancolie. Les émotions enfouies s’enchaînent devant nos yeux ébahis et l’on a du mal à sortir de la salle lorsqu’apparaît le somptueux générique qui est à l’image du reste de ce grand film.