Après l’excellent Habemus Papam, Nanni Moretti continue d’explorer ses doutes et les nôtres. Dans Mia Madre, le cinéaste italien s’intéresse à Margherita, une réalisatrice qui peine à joindre les deux bouts entre sa vie privée et sa carrière.
En tant qu’artiste, Margherita se reproche de ne pas sortir de sa zone de confort, de mettre en scène un cinéma social selon des codes établis dont elle a fini par oublier le sens. Si elle semble perdue dans sa vie professionnelle, c’est parce que Margherita doit également s’occuper avec son frère de sa mère, de plus en plus souffrante. Alors qu’elle met en scène une œuvre politique, Margherita doit faire face à ses angoisses, qui transparaissent petit à petit dans son travail.
Si Nanni Moretti a cette fois-ci choisi d’incarner le frère serein et réconfortant, sa personnalité ressort néanmoins à travers le personnage de Margherita. Lorsque le spectateur la voit marcher devant un cinéma qui projette l’un de ses films, il assiste également aux remises en question de Moretti. En entendant les remarques des proches de Margherita faisant la queue, on comprend les doutes qui alimentent le cinéaste, à la fois à l’aise dans son exercice mais en difficulté lorsqu’il doit se réinventer ou changer de style.
C’est pourtant ce que fait Moretti dans Mia Madre, dans lequel on retrouve un ton familier mais aussi une fine analyse de son métier et surtout un rapport à la mort extrêmement touchant. En utilisant le songe, Moretti nous immerge dans les souvenirs et les peurs de Margherita, qui l’aideront à suivre sa trajectoire artistique et à se préparer au deuil de sa mère. On se souviendra longtemps des deux derniers plans qui, s’ils ne donnent pas de solution miracle à des questionnements universels, permettent de les accepter avec une certaine sérénité. Plus elle se laisse aller, plus Margherita comprend ses collègues et surtout la nature de sa mère qui n’aura cessé d’être dans la transmission même dans les moments les plus compliqués.
Margherita observe sa fille partager du temps avec sa grand-mère et son oncle. C’est lorsqu’elle est dans la contemplation qu’elle cesse de diriger ses équipes et sa vie et qu’elle trouve de l’apaisement. Les passages où sa protagoniste est en retrait expriment à merveille le recul qu’elle prend par rapport à son quotidien, indispensable à de nombreux metteurs en scène. Comme le pape incarné par Michel Piccoli dans Habemus Papam, le poids des responsabilités est dur à porter pour Margherita. Quand elle s’attaque à la star américaine de son film ou reste tourner une scène capitale malgré l’annonce d’une mauvaise nouvelle, la réalisatrice fait preuve d’une ténacité désarmante. En aucun cas prétentieux dans sa manière d’aborder le métier de cinéaste, Moretti le montre avec une simplicité toujours présente dans ses longs métrages, ce qui renforce l’attachement et l’identification au personnage.
Jamais déprimant, Mia Madre possède de jolis moments de farce grâce à un John Turturro déchaîné. Star américaine arrogante au premier abord, l’acteur Barry Huggins est finalement un professionnel largué et seul, tour à tour simplet et capricieux, qui apporte toute l’énergie comique dont Mia Madre avait besoin. Avec Margherita Buy et Giulia Lazzarini, Turturro forme l’étonnante distribution de Mia Madre, film riche à travers lequel Moretti continue de se livrer tout en signant, après Le Caïman, une mise en abyme du cinéma très réussie.