Dans Take Shelter, un homme était obsédé par la menace d’une tornade et tentait de persuader sa famille que l’Apocalypse approchait. Dans Mud, un adolescent faisait la rencontre d’un mystérieux fugitif qui lui demandait de l’aide pour retrouver la femme de sa vie. Dans Midnight Special, deux hommes traversent le Texas et la Louisiane afin de protéger un enfant recherché par les autorités.
L’un des deux est le père d’Alton, l’enfant doté d’étranges pouvoirs poursuivis par des fanatiques et le gouvernement. Le second est un flic, ancienne connaissance du père convaincu qu’il doit protéger Alton à tout prix après avoir découvert ses capacités. Les informations diffusant le portrait du père et l’obligation de circuler rapidement rappellent les sentiments de chasse et d’isolement qui émanaient des précédents films de Nichols. Le petit groupe doit quitter son territoire, fuir ses repères et s’adapter en permanence face aux avancées d’une secte obsédée et des agents fédéraux. Alton est un objet de culte pour les uns, une arme pour les autres.
En utilisant la science-fiction, le cinéaste continue de nous faire visiter son Sud des Etats-Unis, ses marécages, ses champs, ses lotissements et ses motels. Tous ces lieux sont importants puisqu’ils permettent aux personnages de se cacher, de se libérer mais aussi de faire face à leurs ennemis. Nichols maîtrise les codes du genre, crée une atmosphère énigmatique et tendue dès les premières images et dévoile ses révélations stratégiquement jusqu’au magistral dernier plan. Ces forces narratives rappellent Rencontres du troisième type au même titre que les poursuites en voiture évoquent Sugarland Express, où un couple de criminels dans la lignée de Bonnie & Clyde parcourait le Texas.
Le réalisateur évite la rationalisation, les explications bavardes et confronte son spectateur à la nature d’un enfant différent, parfois inquiétant, qu’il est nécessaire de préserver et de protéger. Le regard des parents sur leur fils bouleverse à tel point que le public ne remet jamais en cause leurs motivations. Leur foi inébranlable les amène à vivre un périple rempli de rebondissements, de séparations et de catastrophes qui confèrent au long métrage un rythme constant. Cela n’empêche jamais le cinéaste de glisser des plans particulièrement émouvants, notamment durant la dernière demi-heure éblouissante qui témoigne sans parole de la puissance de l’amour familial.
Une fois encore chez Nichols, ce sont la foi et la confiance totale en l’autre qui prédominent. Le propos est naïf mais jamais niais. Comme chez Spielberg, les protagonistes ont des convictions divergentes mais ne sont jamais présentés comme des caricatures grossières ou stupides du symbole qu’ils représentent. Ainsi, les quelques scènes de Sam Shepard suffisent à dévoiler l’aliénation de son personnage. L’isolement d’Adam Driver parmi les agents fédéraux reflète sa capacité à douter et à remettre les événements en question. Le dévouement du trio protecteur d’Alton interprété par Michael Shannon, Kirsten Dunst et Joel Edgerton se ressent à travers leur vitesse de réaction et les sacrifices qu’ils font et sur lesquels ils ne s’étalent jamais.
Jeff Nichols et ses comédiens apportent la retenue nécessaire pour que le long métrage et son incroyable sujet ne tombent jamais dans le ridicule. Midnight Special est une œuvre sincère qui revendique ses influences tout en reflétant le style et les thèmes de prédilection de l’un des meilleurs réalisateurs américains de sa génération.