Louis Bloom est un amoureux des images. Pour cet apprenti reporter aux ambitions énormes, la réalité paraît bien plus vraie lorsqu’elle est dévoilée derrière un écran. Louis Bloom est également un misanthrope et une pauvre raclure. Lorsqu’il décide de se lancer à plein temps dans l’envoi d’images exclusives à une chaine de télévision, le jeune professionnel a toutes les cartes en main pour réussir et créer sa propre entreprise.
Il est toujours bon de détester un personnage au cinéma et Bloom est sans doute l’une des pires ordures de ces dernières années. Loin d’être traumatisé comme l’était Travis Bickle dans Taxi Driver, Bloom est un individualiste façonné par les médias. Incapable d’avoir une interaction sans provoquer le malaise, Bloom n’est compétent que lorsqu’il porte une caméra et filme un événement glauque.
En critiquant la recherche du scoop spectaculaire, les dérives du rêve américain et la génération élevée aux informations en continu, Dan Gilroy prévoie une trajectoire classique pour son personnage principal. Logiquement, Bloom va passer du débutant en manque de confiance au professionnel manipulateur. Si certaines scènes sont particulièrement réussies, à l’image des échanges entre Jake Gyllenhaal et Rene Russo, on regrette que le scénario prévisible ne s’accorde pas avec le cynisme de l’ensemble.
Dan Gilroy veut choquer mais n’offre aucune surprise à son spectateur. L’ascension de Bloom est certes très bien amenée, notamment à travers sa rivalité avec d’autres reporters et sa relation avec son employé, elle suit néanmoins un chemin tracé menant bien sûr au drame. On est en revanche épatés par l’interprétation de Gyllenhaal, pourri jusqu’au bout et capable d’installer une véritable tension à chaque face-à-face. Adepte du « par tous les moyens nécessaires », Bloom est un personnage qui ne fait aucune concession dans un long métrage qui ne va pas au bout de sa logique provocatrice. Night Call ne pousse jamais la perversion aussi loin que le Network de Sidney Lumet, dans lequel certains des protagonistes réalisaient des actes insensés et malades sous l’influence de la caméra. S’il est tout de même bien allumé, Bloom reste en permanence dans le contrôle. D’un côté, cela le rend plus inquiétant mais le réalisateur ne le fait jamais sortir de ses gonds malgré ses décisions vicieuses.
Difficile également pour Dan Gilroy de réaliser un polar urbain dans les rues de Los Angeles après les exploits de William Friedkin (Police fédérale Los Angeles), Michael Mann (Le solitaire) et plus récemment Nicolas Winding Refn (Drive). Pourtant, le cinéaste signe des courses poursuites impressionnantes qui renforcent le sentiment que Bloom n’a aucune limite et durant lesquelles le rire excité de Gyllenhaal en dit long sur son personnage. Aidé par la photographie de Robert Elswit (Inherent Vice, The Town) et par la partition électrique de James Newton Howard, Gilroy n’a aucun mal à nous immiscer dans les rues où petits crimes et meurtres sordides font le bonheur du caméraman. La concentration dont Bloom fait preuve pour mettre en scène ses images de façon créative laisse pantoise et les expressions satisfaites de Jake Gyllenhaal suffisent pour nous déranger.
Si sa construction narrative manque d’originalité, Nightcall reste un film à découvrir ne serait-ce que pour la crapule qu’il présente. On comprend l’omniprésence de Gyllenhaal en ce moment, définitivement à l’aise dans tous les registres. Pour que Nightcall devienne le choc escompté, il aurait fallu que le long métrage soit aussi méchant que son protagoniste principal, ce qui n’est pas une mince affaire.