En 1971, le New York Times et le Washington Post, alors journal local, révélèrent les Pentagon Papers, documents établis pour le compte de Robert McNamara, secrétaire à la Défense au moment de leur rédaction en 1965. Le nouveau film de Steven Spielberg revient sur les motivations de Katherine Graham, directrice de publication du Post, et Benjamin Bradlee, rédacteur en chef du journal, qui les poussèrent à dévoiler que le gouvernement américain avait pleinement conscience qu’il était impossible de repartir victorieux du Viêtnam.
Tourné lors de la gigantesque post-production de Ready Player One, Pentagon Papers est un long-métrage haletant et passionnant, qui dépasse largement l’ode à un journalisme d’investigation soi-disant révolu.
Le réalisateur nous immerge, grâce à une reconstitution impeccable, dans les coulisses d’une rédaction qui doit, lors de l’apparition du scoop, faire face à un dilemme déontologique et moral. Le poids de la décision de la publication repose en grande partie sur Katherine Graham, héroïne étouffée par le système patriarcal dans lequel elle peine à s’intégrer. Face à elle se dressent les investisseurs et le conseil d’administration du Post, représentés en partie par l’excellent Bradley Whitford, et l’équipe de rédaction parfaitement intègre menée par Tom Hanks.
Avant d’arriver à l’issue du long-métrage qui fait désormais partie de l’Histoire, Spielberg prend le temps de dresser les différents enjeux de l’éventuelle publication et parvient à créer un véritable suspense. Cela passe d’abord par la façon de mettre en avant, et ce parfois discrètement, l’implication et le travail de chacun des membres de la rédaction.
Les responsabilités au sein de l’équipe sont différentes mais l’objectif est commun. L’idéalisme que dépeint Spielberg n’est pas toujours réaliste certes, mais il lui permet d’inscrire son œuvre dans la lignée de celles de Frank Capra (Mr Smith au sénat) et John Ford (Vers sa destinée). Le spectateur retrouve dans Pentagon Papers la même force de conviction, la même mise en valeur des quidams et surtout la même énergie.
Les bons sentiments souvent reprochés à Spielberg permettent ici, et comme souvent chez le cinéaste, de s’attacher pleinement aux protagonistes et de comprendre l’effervescence des moments qu’ils vivent. A chaque échange, la caméra se place derrière eux comme pour afficher son soutien et souligner la difficulté des négociations. Les rares personnages qui échappent à ce traitement sont le membre du conseil d’administration interprété par Bradley Whitford et Nixon, que l’on aperçoit toujours dans son bureau depuis l’extérieur de la Maison Blanche.
Chaque dialogue représente une avancée ou un recul dans le combat pour la publication grâce à une mise en scène parfaitement maîtrisée. Qu’il filme la salle de rédaction du Post, l’imprimerie ou la demeure de Bill Bradley, interprété avec brio par Tom Hanks, Spielberg réussit à garder la même intensité. Ne tombant jamais dans le verbiage pompeux, Pentagon Papers s’impose comme un film passionnant dans lequel les personnages n’ont d’autres choix que de se remettre en question pour avancer.
Katherine Graham représente le mieux cette problématique. Sous son apparente timidité, c’est le poids du changement drastique qu’elle doit opérer que l’on ressent en permanence chez elle, grâce à l’interprétation de Meryl Streep. La révélation du scoop représente en effet pour elle une sortie totale de sa zone de confort, en plus de l’acte citoyen que l’information représente.
Au lieu de tomber dans le triomphalisme que déteste Bill Bradley, Steven Spielberg préfère les victoires discrètes pour souligner l’impact des choix de la rédaction. La séquence particulièrement émouvante où Graham sort du tribunal symbolise à merveille cette volonté. Le cinéaste conclut ensuite son film avec un plan qui évoque Les hommes du président et Nixon, deux œuvres similaires mais construites sur des tons différents. Contrairement à ces deux longs-métrages, Pentagon Papers est doté d’un humanisme débordant, marque de fabrique de Spielberg toujours dévoilée avec une sincérité bouleversante et un sens de la réalisation virtuose.