Après les fabuleuses adaptations de Mystic River, Gone Baby Gone et Shutter Island, l’écrivain Dennis Lehane développe pour la première fois un scénario pour un thriller hollywoodien. Réalisé par Michael R. Roskam, révélé par l’excellent Bullhead, Quand vient la nuit est le polar noir qu’on rêvait de voir à l’écran lorsque l’annonce du projet est tombée.
Si le titre français n’évoque pas vraiment l’ambiance du film, The Drop est à l’inverse beaucoup plus révélateur. Le long métrage nous emmène dans les bas fonds de Brooklyn et plus précisément les drop bars, ces enseignes utilisées par les gangsters pour blanchir l’argent sale. Dans l’un de ces établissements travaille Bob, un homme discret qui n’a jamais réussi à échapper à ce paysage terne et dangereux. Un soir, Bob trouve un chiot dans une poubelle. En le recueillant, il est loin d’imaginer qu’il est sur le point de subir un chantage du propriétaire, un criminel redouté du quartier.
Si le pitch n’est pas le plus alléchant de l’année, Lehane et Roskam savent en profiter pour développer la psychologie de leurs personnages que l’on découvre jusqu’à la dernière minute. Jouant constamment sur les apparences, l’auteur et le réalisateur s’attaquent à une histoire simple pour analyser le fonctionnement d’un milieu que l’on croit connaître à force de voir des films du genre mais qui nous échappe totalement.
Au-delà du chantage que vit Bob, dans le bar-dépôt et par rapport au chien, il est avant tout question de réputation, de l’acceptation des autres dans un quartier que l’on a connu toute notre vie et dans lequel on mourra probablement. S’il se dévoile peu à peu, Bob est un taiseux que l’on ne voit jamais comme un dur à cuire à l’inverse du protagoniste interprété par Matthias Schoenaerts. Bob est obligé de s’adapter à un environnement qu’il déteste. C’est lorsqu’il révèle le fond de sa pensée qu’il prend le public par surprise. Une nouvelle fois, Tom Hardy est phénoménal. Moins impulsif et plus tendre que dans Lawless, il conserve ses grommèlements et paraît tranquille, jusqu’à une montée en pression rapide qui renverse tout le long métrage et les impressions que l’on s’était faits sur les autres personnages.
Le long métrage nous immerge dans sa routine, son quotidien incertain et sa manière d’y faire face avec une certaine passivité. Dennis Lehane ne propose pas un récit très original mais son sens de l’humour et ses dialogues volontairement courts débités avec un franc-parler déconcertant font la singularité de Quand vient la nuit. Ici, pas de tirades, de leçons de morale ou de vie de rêve pour les criminels. The Drop n’est pas une fresque comme ses romans tels qu’Un pays à l’aube ou Ils vivent la nuit qui se concentrent sur les ambitions de ses héros, comme c’est le cas dans les œuvres de Scorsese (Les Affranchis).
Quand vient la nuit est un film froid, aux individus imprévisibles et desquels on ne sait rien. La photographie âpre, les décors redondants et la réalisation de Michael R. Roskam renforcent ce sentiment. Le cinéaste ne met jamais les pieds dans Manhattan et ne sort quasiment pas des rues dans lesquelles les personnages vivent, font leurs affaires et meurent. Ce choix accentue l’oppression que vit Bob et les possibilités limitées qui sont à sa disposition.
Dernière œuvre de James Gandolfini (Les Soprano), Quand vient la nuit nous offre également l’ultime prestation d’un comédien à la stature unique, dont la composition fait ici écho à sa vie, celle d’une gloire passée tentant de remonter la pente malgré la conscience d’une fin dramatique approchant à toute allure. Rien que pour lui, il est important de voir cette perle noire qui distille une véritable tension jusqu’à une conclusion glaçante que l’on voit venir sans s’attendre à un tel impact.