Depardieu père, Poelvoorde fils. S’ils n’avaient pas prévu cette idée dans le script originel, Benoît Delépine et Gustave Kervern viennent de nous offrir l’un des duos les plus émouvants et attachants de l’année.
Saint Amour débute au Salon de l’Agriculture, où Jean et son fils Bruno se rendent chaque année. Le premier vient présenter ses vaches, le second boire en faisant le tour des régions à échelle réduite. Lorsque Jean retrouve Bruno dans un état lamentable, il décide de l’emmener faire la véritable Route des Vins en espérant que l’amour vienne enfin frapper à la porte de son fils.
Après Mammuth, les cinéastes belges optent de nouveau pour le road-movie. Saint Amour est tout aussi drôle et touchant que son prédécesseur mais surtout plus tendre. L’alchimie entre Depardieu et Poelvoorde est visible dès les premiers instants et c’est encore une fois la complicité de toute l’équipe qui frappe le public. Poelvoorde est à fleur de peau alors que Depardieu fait preuve d’une très belle retenue. L’acteur est à la fois sensible et réconfortant dans le rôle d’un père inquiet mais fier de son fils. Cette dignité et ce partage, parfois interprétés comme un cynisme écœurant, font en réalité toute la beauté de Saint Amour.
Lors de l’introduction, les réalisateurs filment leurs comédiens en gros plans, caméra à l’épaule. Le spectateur les voit enchaîner les verres et fricoter avec les cochons sous l’œil curieux des visiteurs. Delépine et Kervern nous font oublier le manque de moyens et l’organisation hasardeuse du tournage. La réalisation peut paraître paresseuse mais elle est en parfait accord avec un script qui donne l’impression d’être sans cesse modifié.
Cette liberté dans le fond et la forme n’empêche pas les cinéastes de garder une cohérence constante. Jean et Bruno prennent la route et s’apprêtent à faire de nombreuses rencontres, à commencer par celle de Mike, chauffeur de taxi parisien aussi seul que le père et le fils. Delépine et Kervern abordent des thèmes universels avec simplicité et sincérité. Les confrontations farfelues font évoluer les personnages et procurent une grande bouffée d’air frais au spectateur.
Les réalisateurs traitent la solitude, l’alcoolisme et le deuil avec leur humour salvateur et sans apitoiement. Lorsque Poelvoorde évoque les dix stades de l’ivresse, on rit devant son naturel désarmant et sa capacité à assumer l’aspect pathétique de l’exercice. On s’émeut quand Depardieu laisse un message sur le répondeur de sa femme décédée et l’on trouve attachant le mythomane Vincent Lacoste lorsqu’il s’improvise expert en séduction.
Grâce à leurs rencontres, chacun va redécouvrir l’amour et s’accepter. Les comportements imprévisibles des caméos savoureux sont mis en valeur par un montage dynamique et des situations qui jouent sur l’effet de rupture. Surpris en permanence, le groupe en devient encore plus sympathique et parvient à trouver un bel équilibre grâce à leur perte dans les séduisantes régions qu’ils parcourent. Certaines apparitions hilarantes renforcent la proximité du trio mais c’est la rencontre avec Vénus, interprétée par l’excellente Céline Sallette, qui va marquer un tournant dans la vie des héros.
Au-delà de la symbolique véhiculée par Vénus, son entrée dans le film permet à Kervern et Delépine de se détacher d’une rationalité qui amenait les personnages à relativiser et continuer leur délicieux périple. Elle est la finalité du voyage, la rencontre rassurante pour ces trois hommes profondément bons qui n’ont plus besoin de se cacher. Saint Amour prend alors un tournant beaucoup plus lumineux et optimiste et le spectateur réalise alors que tous les espoirs qu’il avait placés dans ces protagonistes pourront peut-être se réaliser. Jolie boucle qui ne se limite pas qu’au défouloir de « deux sales gosses du cinéma français », Saint Amour est une œuvre aux vertus thérapeutiques indéniables qui porte parfaitement son titre.