Les réfractaires qui réduisent Terrence Malick à ses plans aériens dignes d’une publicité Ushuaïa vont pouvoir s’en donner à cœur joie. Avec Song To Song, le cinéaste est de moins en moins hésitant et de plus en plus expressif lorsqu’il parle d’amour, ce qui ne pourra en revanche que ravir ses fans. En entendant Ninja et Yo-Landi Visser, les leaders de Die Antwoord, ouvrir le long métrage avec un discours qui résume parfaitement leurs ambitions artistiques, les craintes vis-à-vis du film s’envolent immédiatement.
Pour Song To Song, Malick plante son cadre à Austin, la capitale du Texas qu’il affectionne tant, et s’intéresse à la scène musicale du festival SXSW. Dans la ville qui fascine le réalisateur, Rooney Mara et Ryan Gosling interprètent deux rêveurs aimants et passionnés par leur musique. Dès leur scène de rencontre, Malick magnifie leurs gestes furtifs, leur façon de s’effleurer mais également le regard fourbe du manager cupide incarné par Michael Fassbender.
Cheminement spirituel où l’on retrouve les questionnements des personnages et de Malick qui ne nécessitent par forcément de réponses, Song To Song est dans la continuité des précédentes œuvres du réalisateur. L’auteur filme les errances amoureuses de quatre individus à l’image de celles de Christian Bale dans le magnifique Knight Of Cups.
L’énergie musicale du festival SXSW s’associe à merveille à l’utilisation majestueuse de la steadicam. Les performances sur scène et les doutes des protagonistes sont complémentaires. Au milieu de la douleur et du chaos provoqué en partie par Cook, manager dénué de toute intégrité artistique, se dressent deux nouveaux personnages magnifiques.
Les regards de Rooney Mara et Ryan Gosling sont aussi évocateurs que ceux du soldat Witt dans La Ligne Rouge ou de Pocahontas dans Le Nouveau Monde. Leur volonté de s’aimer malgré les tourments, les échecs et leur perte de liberté est profondément envoûtante et bouleversante.
Capable de provoquer une remise en question personnelle tout en construisant quatre nouvelles pièces maîtresses de son cinéma incarnées par des comédiens au sommet, Terrence Malick ne se contente pas d’aligner les séquences contemplatives souvent moquées sans réelle justification.
Alors qu’ils avaient tout sans spécialement s’en rendre compte, les personnages se perdent pour mieux apprendre à se retrouver. A travers leur évolution exprimée sans niaiserie, l’influence d’auteurs comme Borges ou Heidegger se ressent toujours autant chez Malick. Son cinéma n’a rien perdu de sa richesse, il a simplement gagné en luminosité.
L’ascension sociale qui gangrenait Brad Pitt dans The Tree of Life et Nick Nolte dans La Ligne Rouge continue de tourmenter les protagonistes, en particulier celui de Rooney Mara. Elle est cependant balayée avec plus de conviction pour laisser place à une pureté des sentiments que Malick rapproche du sacré. Les doutes ne disparaissent pas mais sont plus facilement terrassés par une envie d’aimer qui n’est jamais amenée de façon naïve ou faussement mélancolique.
Les rapports charnels douloureux laissent peu à peu place à des regards apaisés. Le besoin de posséder s’efface pour que l’envie de donner et de pardonner puisse s’imposer. Après la douleur et la mort viennent la paix et la redécouverte de l’autre. Les personnages de Terrence Malick semblent enfin en être convaincus.
La plénitude que l’on découvre dans la conclusion après le chaos et l’égarement rappellent le somptueux aller vers l’avant sur lequel Knight of Cups se terminait. Le discours de Patti Smith dans la dernière partie pourrait résumer parfaitement Song To Song. Le nouveau film de Terrence Malick est une invitation à l’amour sublimée par un montage entraînant qui n’a aucun mal à exprimer la diversité de nos sentiments sans pour autant tomber dans une compilation indigeste. Il suffit de se laisser porter par quatre incroyables comédiens et par des plans capables de nous chambouler en un instant pour embarquer dans un magnifique voyage offert par un cinéaste toujours aussi fascinant.