Critique : Spetters – Boyz N The Hood

Affiche du film Spetters, réalisé par Paul Verhoeven. Nous y voyons l'héroïne du film au premier plan ainsi que les bikers au second plan.

Avant de s’envoler pour les Etats Unis afin d’y réaliser une série de chefs d’œuvre ouverte avec La chair et le sang, Paul Verhoeven réalisait en 1980 Spetters, long métrage centré sur trois bikers errants dans les rues d’une petite ville hollandaise.

Entre courses de moto, croquettes de viande douteuses et virées nocturnes, les amis soudés et passionnés vont vivre une série de désillusions qui freineront leurs ambitions. Parmi eux, il y a Rien, le futur champion qui rêve d’égaler Gerrit Witkamp, gloire locale à qui tout réussit. Durant ses courses, Rien est suivi de près par Hans, le plus discret des trois compères qui aimerait arriver au niveau de son ami. Enfin, Eef est un jeune mécanicien motivé par l’envie de quitter le paysage rural et ses parents autoritaires et fermés.

Leur amitié est mise à rude épreuve lorsque débarque en ville Fientje, venue s’installer avec son frère pour tenir un snack. Tour à tour, ils vont tenter de la séduire mais ne pourront pas combler ses attentes.

Photographie du film Spetters réalisé par Paul Verhoeven. Nous y voyons deux des personnages principaux retenir un agresseur.

Le passage à l’âge adulte a rarement été traité de manière aussi dure que dans Spetters. Verhoeven ne ménage pas ses personnages. En proie à la découverte des sens, du handicap, du deuil et du viol, les héros perdent au fil de l’œuvre leur impertinence et leur envie de régner sur une ville trop calme, trop petite et trop pauvre pour eux. Les jeunes aspirent à une vie meilleure et vont, chacun à leur manière, tenter de trouver une solution pour gagner de l’argent ou de la reconnaissance afin de fuir la banalité d’un quotidien rythmé par leurs retrouvailles et leurs virées nocturnes.

Le trio est confronté à une série d’épreuves qui remet tout en question, à commencer par leur amitié. Alors qu’ils chahutent avec des homosexuels et font rugir leur moto lors de la messe pendant la première partie du film, la bande va devenir la cible d’agresseurs et devra par la suite affronter la malchance, l’éloignement et la manipulation de Fientje. L’inconnue cherche avant tout à garantir sa propre sécurité avant de trouver l’amour. Le jeu se retourne donc contre les trois bikers qui se pensaient invincibles et ne parviendront malheureusement pas à atteindre le niveau et la notoriété de leur idole Gerrit Witkamp.

Photographie du film Spetters réalisé par Paul Verhoeven. Nous y voyons Rutger Hauer qui interprète un champion de moto dans le film et qui salue ici l'un de ses admirateurs.

Présenté comme un héros local, ce protagoniste interprété par Rutger Hauer n’est pourtant pas la star disponible et aimable que l’on pense découvrir lors de sa première apparition. Witkamp est orgueilleux, moqueur et ne dégage aucune sympathie. Pour Verhoeven, il ne semble donc pas y avoir de solution idéale pour ces jeunes qui n’assument pas ce qu’ils sont. Les événements négatifs vont les pousser à prendre leurs responsabilités ou au contraire à tout rejeter, n’arrivant plus à trouver aucun repère.

Paul Verhoeven insuffle une véritable intensité dramatique sans prendre parti pour le trio. Le spectateur a envie de le voir s’en sortir mais ne déteste jamais Fientje, pourtant à l’origine de nombreux conflits et malheurs. Avant John Hugues, Larry Clark et Gus Van Sant, Verhoeven filme une génération perdue qui pense vivre pleinement grâce à son audace mais qui n’a pas encore subi les violences inattendues que la vie nous fait traverser. Ce n’est qu’après avoir ressenti une terrible onde de choc qu’Eef, Hans et Rien sauront quelle trajectoire prendre pour leur avenir. Verhoeven filme leurs épreuves avec un naturel déstabilisant. Dès qu’un personnage semble avoir le contrôle, le cinéaste le rappelle à l’ordre en lui faisant vivre un événement qui le dépasse.

A la fin de l’œuvre, nous sommes loin des courses de moto parfaitement chorégraphiées et des séquences de danse en boîte de nuit. La force du film est de nous attacher à des personnages non pas grâce à leur personnalité mais leur parcours, duquel découlera l’envie de vivre ou au contraire de renoncer. S’il nous avait immergés dans la haute société avec Le choix du destin, Verhoeven signe avec Spetters une œuvre sans concession sur le milieu ouvrier hollandais de l’époque disco. Le metteur en scène confronte avec une liberté totale ses personnages aux obstacles d’une société sur laquelle il extrêmement difficile, voire impossible, de prendre le dessus.

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