Milton est une ville industrielle tranquille dans laquelle il fait bon vivre. Dans cette petite communauté vit Jerry, un être épanoui secrètement amoureux de l’une de ses collègues, Fiona. Quand il parle de sa possible relation avec Fiona à ses animaux de compagnie, Jerry s’emmêle les pinceaux. Alors que Mr Moustache prône des actes douteux, Bosco préfère raisonner son maître et prend son rôle de meilleur ami de l’homme très à cœur. Jerry finira par commettre l’irréparable en écoutant Mr Moustache, un conseiller diabolique duquel il aura beaucoup de mal à se débarrasser.
Après Captives d’Atom Egoyan, Ryan Reynolds continue de nous surprendre avec The Voices, nouveau long métrage de Marjane Satrapi (Persépolis). Si la réalisatrice nous avait laissés sur notre faim avec La bande des Jotas, son premier tournage aux Etats Unis est à l’inverse une excellente surprise.
La schizophrénie est régulièrement explorée dans le septième art. Le thème permet à certains metteurs en scène de dévoiler une identité visuelle et un ton atypiques. C’était le cas l’an passé pour Denis Villeneuve et Richard Ayoade, qui optaient pour un climat oppressant et une imagerie sombre dans les très bons Enemy et The Double. Marjane Satrapi préfère l’humour cinglant et la luminosité pour nous présenter un individu troublé qui se laisse dépasser par sa folie meurtrière.
En découvrant la gentillesse de Jerry, la présentation d’une petite agglomération, l’isolation des victimes et l’humour extrêmement noir, on pense à l’immense Fargo des Coen. Cependant, Jerry est l’opposé du personnage rationnel et instinctif interprété par Frances McDormand. Si la candeur et les souffrances du héros ne peuvent que toucher le spectateur, ses actes sont en revanche terrifiants. Marjane Satrapi réussit à contraster son caractère grâce à la présence des animaux dotés de parole mais également en alliant les meurtres sanglants aux paroles rassurantes et au visage angélique de Ryan Reynolds. Le comédien nous avait déjà surpris (Buried, Mise à prix) mais il n’a jamais livré une prestation aussi complexe et nuancée. A la limite de l’autisme, ses échanges avec les protagonistes féminins provoquent le malaise mais également de nombreux fous rires. La réalisatrice n’hésite d’ailleurs pas à sacrifier Gemma Arterton et Anna Kendrick, victimes malgré elle de l’innocence et l’apparente bêtise de ce « brave type ». On retiendra également les dialogues avec les animaux, doublés par Reynolds, et plus particulièrement la gouaille de Mr Moustache, dont l’accent écossais s’allie parfaitement à ses propos irrévérencieux.
Marjane Satrapi ne brouille pas les pistes très longtemps et s’échappe à de multiples reprises de la réalité dans laquelle vit Jerry. On craignait que cela nuise au récit, duquel on attendait une conclusion tout aussi politiquement incorrecte. Si l’histoire s’essouffle en milieu de parcours pour laisser place à une parenthèse romantique, c’est pour mieux reprendre son rythme dans un dernier acte barbare durant lequel Jerry n’a plus aucun contrôle. La fin aurait pu être encore plus immorale, mais l’on se laisse séduire par un générique dont l’ironie rappelle celui de 40 ans toujours puceau.
Les frères Farrelly étaient parvenus à signer un monument potache en s’attaquant à la schizophrénie dans Fous d’Irène. L’humour de The Voices se trouve plutôt dans le décalage entre l’horreur des meurtres et les justifications hilarantes proposées par le chien protecteur et sa Némésis, véritable pourriture qui prône la libération totale de Jerry. Les échappées dramatiques et rationnelles auraient pu plomber la satire mais Marjane Satrapi trouve un bel équilibre et ces moments contribuent à semer le doute dans l’esprit du spectateur qui n’arrive pas à détester ce meurtrier. S’il ne surprend pas par son déroulement, The Voices est néanmoins rempli d’idées absurdes qui fonctionnent à chaque fois. L’esthétique léchée et la photographie colorée nous perdent et nous donnent l’impression d’assister à un cauchemar étonnamment charmant, duquel on ressort avec un grand sourire.