Critique : True Detective – The Wicker Man

Affiche en Noir et Blanc de la première saison de True Detective, sur laquelle nous voyons les héros interprétés par Woody Harrelson et Matthew McConaughey.

En Louisiane, au milieu des années 90, Rust Cohle et Martin Hart enquêtent sur le meurtre d’une jeune fille. En avançant sur l’affaire, les détectives découvrent une conspiration qui pourrait faire d’eux des suspects et face à laquelle ils semblent impuissants.

Série peu aimable pour son spectateur dans le sens où elle ne cesse de jouer avec ses nerfs, True Detective s’ouvre sur un Matthew McConaughey rachitique et un Woody Harrelson bedonnant, tous deux enfermés respectivement dans une salle d’interrogatoire face à deux flics en costards bien trop froids pour susciter la moindre empathie. Le spectateur comprend d’emblée que les tenants et aboutissants seront bien plus complexes que la simple résolution d’un crime dont on classerait l’affaire rapidement.

Si l’on est dérouté par le classicisme de l’intrigue dans les premiers épisodes, nous restons captivés grâce à la narration qui oscille entre flashbacks dans les 90’s et passages d’interrogatoires situés en 2012. Le réalisateur Cary Fukunaga jongle sans cesse entre les époques. Il ne laisse jamais ses deux policiers figés et les fait évoluer constamment. Les flashbacks permettent de comprendre les motivations et craintes de Cohle et Hart, que l’on a l’impression de connaître intimement dans la conclusion étirée sur deux épisodes, malgré tous les faux-semblants.

La fin anti-spectaculaire de True Dectective résume parfaitement l’esprit de la série, remplie de réflexions métaphysiques et centrée sur les angoisses de l’être humain face à l’univers et au temps. Des passages épiques, nous en comptons trois au total et malgré leur superbe réalisation, ils sont bien loin d’être les moments les plus accrocheurs. Le plan séquence où McConaughey s’échappe d’une cité qui s’embrase restera néanmoins très longtemps dans nos mémoires.

Photo de Woody Harrelson et Matthew McConaughey dans la première saison de True Detective. Les deux policiers sont en costume. L'un est accroupi, l'autre adossé à une rambarde. Ils semblent observer une scène de crime.

La force de True Detective est de réussir à perdre son spectateur et à se relancer continuellement grâce à des péripéties que l’on ne voit jamais venir. Nous pensions pouvoir prendre de l’avance sur ces deux anti-héros qui semblent perdus et bien trop instinctifs pour notre époque. Fort heureusement, ce sont eux qui ont le contrôle du début à la fin. Si nous les croyions dépassés par les avancées technologiques et complètement en marge de la société, ils tiennent les rênes et s’acharnent jusqu’au bout.

Avec le format télévisuel, Fukunaga laisse ses personnages s’exprimer et nous pénétrons ainsi dans leurs pensées les plus profondes, exercice extrêmement difficile au cinéma lorsque l’on ne s’appelle pas Michael Mann (Heat), David Fincher (Seven) ou Alfred Hitchcock (Psychose). Les monologues désabusés de Matthew McConaughey sont de véritables moments d’anthologie desquels le spectateur sort rincé. Une nouvelle fois, le comédien est habité et confirme sa résurrection après une série de longs métrages du même acabit.

Tout comme dans Killer Joe ou Mud, nous entrons au cœur de l’Amérique White Trash, partie oubliée à laquelle s’intéressent de nombreux jeunes cinéastes comme David Lowery ou Jeff Nichols. Woody Harrelson s’y est lui aussi aventuré dans le très beau Les Brasiers de la colère de Scott Cooper. Il interprète ici un policier qui tente de regagner l’estime de lui-même à travers son travail étant donné qu’il est complètement largué dans sa vie personnelle. Comme l’explique McConaughey dans un épisode, chaque individu devrait naître pour exploiter son talent. Et ces deux là sont nés pour être flics. L’attachement que le spectateur leur porte n’est pas immédiat. Cela est dû à toutes leurs nuances, à leurs faiblesses et au refus de Pizzolatto d’écrire un show manichéen et facile comme pouvait l’être Dexter.

Nous sommes dans une tragédie à la croisée des romans de Cormac McCarthy et James Lee Burke, des polars de Michael Mann et du haut panier du cinéma indépendant américain de ces dernières années. Si l’intrigue paraît banal au premier abord, on se rend rapidement compte que True Detective est l’un des programmes télévisuels les plus fascinants vus depuis très longtemps, qu’il sera nécessaire de revoir pour en décortiquer tous les détails amenés par la subtile réalisation de Fukunaga. Le cinéaste n’a rien perdu de la grâce de Jane Eyre, qui contraste brillamment avec l’ambiance crasseuse dégagée par le paysage mais surtout les protagonistes.

Série politique, policière, religieuse et métaphysique, True Detective évoque la condition de l’homme dans un environnement qu’il ne comprend pas et dans lequel il est obligé de trouver des alternatives pour survivre et s’accrocher. Là où beaucoup se voilent la face et choisissent des voies plus ou moins faciles et extrêmes, ces deux détectives œuvrent pour une cause perdue et s’imposent ainsi comme deux des figures de série télévisée les plus intéressantes jamais écrites. C’est simple, on ne s’était pas sentis aussi impliqués depuis The Wire. Nic Pizzolatto et Cary Fukunaga viennent de nous balancer une claque qui donne du fil à retordre à la plupart des shows policiers établis et qui sera difficile à surpasser dans la deuxième saison que l’on attend impatiemment.

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