Un pilote d’avion, c’est classe. Denzel Washington, c’est encore plus classe. Pourtant, dans Flight, le comédien incarne probablement l’un des personnages les plus pathétiques vus au cinéma ces dernières années.
Mais attention, son allure, l’acteur l’a toujours. Notamment lorsqu’il réussit à sauver la vie de centaines de personnes lors d’un crash mis en scène avec brio. Exercice risqué pour le bonhomme, surtout quand on sait que Whip Whitaker, héros malgré lui, adore ingurgiter, inhaler et sniffer des trucs sales et peu recommandés dans un métier comme le sien. On ne va pas s’attarder sur le jeu de mot « Boir ou voler, faut choisir » qui a sûrement été repris dans les trois quarts des critiques du long métrage, de Télé Z à Télérama. Mais Denzel, lui, sait faire les deux.
Est ce qu’il est responsable de cet accident qui aurait pu tourner à la tragédie ? Aurait-il réussi à poser l’avion s’il avait été sobre ? Ce sont les questions que l’on se pose pendant deux heures durant lesquelles on assiste au combat d’un homme contre lui-même qui tente de conserver son intégrité et combattre ses addictions. Après sa trilogie en motion capture qui révolutionnait le genre malgré ses défauts (Le Pôle Express, La légende de Beowulf, Le drôle de Noël de Scrooge), Robert Zemeckis revient enfin au film live et dresse le portrait de l’un des plus beaux poivrots du cinéma américain.
Flight a la grande force de ne pas suivre le schéma habituel des œuvres sur l’alcoolisme. Ici, la désintoxication ne se fait pas en quelques nuits de transpiration. On adore Walk the line et Crazy Heart mais il est vrai que les rédemptions y sont traitées trop rapidement. A travers sa réalisation, Zemeckis fait croire à son spectateur que Whitaker va s’en sortir. Mais il casse le rythme constamment et la descente aux enfers recommence. Le cinéaste réussit à provoquer un sentiment d’empathie immédiat pour Whip mais paradoxalement, le voir rechuter est un plaisir dans le sens où l’on a l’impression de découvrir quelque chose d’inhabituel et d’immoral pour un film grand public comme Flight.
Nous avons droit à du cinéma qui sait allier grand spectacle et réalisme. On suit la déconstruction d’un homme détestable à beaucoup de niveaux mais profondément attachant. On a envie d’y croire, mais logiquement, la route est longue. Zemeckis va à l’encontre de pas mal de critères hollywoodiens. Il n’a rien perdu de son sens de la mise en scène. On trouve dans son long métrage quelques longueurs,mais l’on ne s’ennuie à aucun moment. Malgré la lourdeur du propos, certaines séquences à l’image de toutes les apparitions du génial John Goodman (The Big Lebowski) apportent une bonne dose d’humour et d’ironie.
Washington tient dans Flight son rôle le plus complexe et l’endosse sans problème. On avait l’habitude de le voir dans la peau d’ordures (Training Day) mais ici l’ambiguïté va beaucoup plus loin puisque Whip n’est pas un sale type, seulement un homme ordinaire qui tente de sauver sa peau. Tiraillé par des dilemmes auxquels n’importe quel humain peut être confronté (oui, tout le monde est capable de retourner un avion en vol), il sera à même de toucher un plus large public. Sa prestation s’apparente peu à ses anciennes performances. Ici, il laisse tomber sa légendaire décontraction. Il en devient plus puissant et impressionne lorsqu’il dévoile ses fêlures. Dans la dernière séquence, il anéantit le spectateur et même si la fin n’est pas spécialement originale et exempte de clichés, elle boucle le film sur un dialogue particulièrement émouvant. On regrette cependant que la relation qu’il entretient avec la jeune femme interprétée par Kelly Reilly (Sherlock Holmes) ne soit pas plus fouillée.
Flight, c’est le comeback impeccable d’un artiste aux multi facettes qui connaît le sens de l’entertainment mieux que personne et qui ne dissocie jamais divertissement et intelligence. Une nouvelle fois, Denzel mérite son Oscar. Et on espère du fond du cœur qu’il ne se le fera pas voler par Hugh Jackman.