Depuis les années 30, les adaptations cinématographiques des sœurs Brontë ont été nombreuses. En 2012, deux réalisateurs talentueux ont mis en scène les deux plus gros succès littéraires des sœurs. La première, Andrea Arnold (Fish Tank), s’est attaquée aux Hauts de Hurlevent tandis que Cary Fukunaga (Sin Nombre) s’est approprié Jane Eyre. Et si nous n’avons pas encore eu l’occasion de nous pencher sur le film d’Arnold, nous avons en revanche été scotchés par celui de Fukunaga.
Nous ne sommes pas spécialement friands des films d’époque britanniques. Il y a certes eu de très belles mises en image des romans de Jane Austen, telle que la plus connue de Joe Wright, Orgueil et préjugés, également réalisateur du sublime Reviens-moi, centré sur une autre période mais présentant une nouvelle fois une histoire d’amour tragique aux personnages forts et atypiques. Celui qui nous aura probablement le plus séduit dans le genre est James Ivory avec des œuvres comme Chambre avec vue ou Les vestiges du jour. Si Jane Eyre n’atteint pas le niveau de ces longs métrages, il est néanmoins doté d’une grande puissance émotionnelle due à la mise en scène et à l’interprétation magistrale de ses deux comédiens principaux.
Après Joan Fontaine, Susannah York et Charlotte Gainsbourg, c’est au tour de Mia Wasikowska de rentrer dans la peau de cette jeune femme fragile qui fait preuve d’un courage à toute épreuve. Celle que l’on avait découvert dans Alice au pays des merveilles prouve après Restless et Des hommes sans loi qu’elle est tout sauf niaise lorsqu’il s’agit de parler d’amour. Ses scènes de confrontation avec Michael Fassbender (Hunger), le seul homme qui serait crédible pour jouer un porte-clé, sont d’une beauté rare et en termes de déclarations, on n’avait pas vu de séquences aussi sobres et exemptes de toute mièvrerie depuis bien longtemps.
Le reproche que l’on peut faire au film est de s’attarder trop peu de temps sur leur relation une fois qu’elle est construite et solide. Nous n’avons pas lu le roman et ne pouvons ainsi pas faire de comparaison mais Fukunaga préfère développer le passé de Jane et en particulier son enfance malheureuse et son éducation au couvent. Tout cela est passionnant et jamais l’on ne s’ennuie durant toute la durée de l’œuvre malgré nos préjugés de départ. On en aurait même demandé un peu plus car lorsque Jane est engagée par Edward Rochester pour enseigner à sa pupille Adèle, tout va très vite. Nous sommes pris dans l’intrigue et tentons de découvrir la pensée de ce mystérieux Rochester. Comme l’héroïne, nous nous demandons s’il est sincère et quelles sont ses intentions. Fassbender nous sort la carte de l’ambiguïté comme il a su le faire avec brio dans X-Men ou Shame.
Fukunaga réussit à installer une ambiance très sombre dès la scène d’ouverture dans laquelle nous découvrons une Jane épuisée et fuyante dans une Angleterre grise et froide. Petit à petit, nous découvrons son parcours hors du commun à travers de longs flashbacks. On retiendra également l’excellente bande son de Dario Marianelli (Anna Karénine), un habitué du genre et la photographie d’Adriano Goldman qui avait déjà travaillé avec Fukunaga sur Sin Nombre.
Jane Eyre est une réussite à tous les niveaux. Jamais ennuyant, le film confirme le talent d’un jeune réalisateur qui a complètement changé de registre avec une aisance folle. A découvrir rien que pour la magnifique fin, synthèse parfaite d’une œuvre riche et complète.