Critique : Killer Joe – White Trash Party

Affiche du film Killer Joe de William Friedkin. Le visage de McConaughey portant des lunettes, un chapeau et levant une arme se trouve la partie gauche alors que celui d'Emile Hirsch apeuré est visible sur la partie droite, devant un fond noir.

Killer Joe est assurément le film du moment, le long métrage dont tout le monde parle. Le genre de choc que vous ne pouvez pas louper, sur lequel vous débattrez avec votre pote, votre voisin ou votre plombier, qui ne pourront pas s’empêcher de l’évoquer car comme vous, ils ne seront pas sortis indemnes de la séance. On pourrait croire qu’il s’agit là de la première œuvre d’un jeune cinéaste enragé qui n’hésite pas à bousculer les codes du genre pour mieux se les approprier et nous filer une bonne mandale. Mais non, l’homme qui est à l’origine de ce polar glauque est William Friedkin, légende du Nouvel Hollywood, réalisateur de perles telles que Cruising, French Connection ou L’exorciste. Six ans après le brillant Bug, Friedkin revient nous prouver qu’il n’a rien perdu de sa férocité et sa maîtrise en nous offrant une œuvre cruelle, violente et très drôle.

Chris est un bouseux texan qui risque de se faire tuer s’il ne rembourse pas très rapidement ses dettes de jeu. Un soir, il évoque avec son père une idée qui pourrait les sortir de la galère. Les deux hommes souhaitent engager le célèbre Joe Cooper, flic connu pour être également un tueur à gages, pour que ce dernier tue la mère de Chris. Grâce à ce meurtre, ils pourraient empocher une assurance vie de 50 000 dollars. Mais Killer Joe a ses habitudes, son fonctionnement. Et si Chris ne respecte pas ses exigences à la lettre, le plan risque de ne pas se dérouler comme prévu.

Avec ce pitch de taré, tiré du roman de Tracy Letts, Friedkin ne pouvait que s’amuser. Dès sa scène d’ouverture, l’humour noir est très présent, le spectateur rigole de l’absurdité de la situation et l’on se croirait presque dans un film des frères Coen, qui ont réussi à dépeindre l’Amérique des rednecks mieux que personne. Le premier échange entre Thomas Haden Church (Sideways), magistral en paternel crétin, et Emile Hirsch (Alpha Dog), qui retrouve enfin un rôle à la hauteur de son talent après le nanar The Darkest Hour, est stupéfiant et l’on contemple ce spectacle avec un regard halluciné. Et nous garderons ce point de vue pendant tout le long métrage. Friedkin réussit à nous tenir en haleine grâce à sa narration sans temps mort. Pourtant, les trois quarts du film sont des scènes de discussion mais Killer Joe n’est en aucun cas une œuvre bavarde et ennuyeuse. La finesse des dialogues et l’humour permettent au public de se régaler et de contempler cet ovni avec stupéfaction.

Photo d'Emile Hirsch et Matthew McConaughey dans le film Killer Joe de William Friedkin. Hirsch est à l'intérieur d'une grande alors que McConaughey est à l'extérieur près de l'entrée et allume une cigarette.

Vous risquez d’entendre de vives réactions dans la salle, sur les péripéties morbides ou sur certaines répliques qui laissent pantois. Nous pénétrons dans un univers malsain où l’innocence n’existe pas. On pense que la jeune Juno Temple (The Dark Knight Rises) est le seul être lucide et pur de cette famille. Au contraire, c’est probablement le plus dérangé. On croit que Matthew McConaughey est un tueur méthodique. On déchantera vite en se rendant compte qu’il n’est qu’un gros psychopathe imprévisible et pervers. Friedkin est toujours aussi fort lorsqu’il s’agit de mettre en scène des montées en pression. Les vingt dernières minutes sont un monument de suspense et la fin est amorale, à contre-courant de tout ce que l’on peut voir en ce moment. Friedkin provoque le choc dont on avait besoin. Killer Joe file à la fois la gerbe et le sourire, ne met pas mal à l’aise comme Cruising mais réussit à secouer. C’est probablement l’un des films de genre les plus intéressants de l’année.

Troussé comme une série B hargneuse des seventies, Killer Joe est la preuve qu’un cinéaste peut se renouveler tout en restant fidèle à son style et son propos. A 77 ans, Friedkin signe un long métrage frais et novateur, qui utilise des procédés de mise en scène loin d’être originaux mais qui parvient tout de même à prendre par surprise son spectateur.  Porté par un casting en or, Killer Joe est une réussite totale qui ne vous fera plus du tout apprécier un KFC de la même manière.

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