La banlieue au cinéma, ça donne souvent des drames qui se terminent mal ou qui forcent les émotions à l’image de Ma 6-T va crack-er, L’esquive ou encore Tête de turc. Il est clair que celui qui a le mieux approfondi le sujet cinématographiquement est Matthieu Kassovitz qui signait son chef d’oeuvre en 1994 avec La haine. Aujourd’hui, Les Kaïra représenterait presque le versant comique du long métrage récompensé au Festival de Cannes. Frank Gastambide a bel et bien réussi, contre toute attente, à réaliser un film féroce, drôle et qui sonne vrai, même s’il est loin d’être parfait.
Mousten, Abdelkrim et Momo sont trois amis d’enfance qui vivent dans une cité à Melun. Un jour, en lisant un magazine porno, ils découvrent l’annonce d’un casting qui leur permettrait de devenir acteurs. Les trois lascars vont enfin pouvoir réaliser leur rêve, tourner dans un film de boules.
Comme dans La haine, nous retrouvons trois types attachants, squatteurs de bancs qui enchaînent les conversations. Certaines choses n’ont pas changé mais aujourd’hui, on peut en rigoler pleinement et attirer un public plus large, même si Les Kaïra n’est vraiment pas accessible à tous. Mais la banlieue n’est pas le véritable sujet du long métrage. D’ailleurs, les compères sont loin d’y passer tout le film. Gastambide, interprète de Mousten, réalisateur et scénariste, nous concocte un récit dynamique qui nous emmène dans des coins farfelus et qui ne stagne pas. Sa vision des choses est juste, son univers regorge de références urbaines qui raviront toute une génération qui sera comblée d’entendre la Mafia K’1 Fry rapper leur titre Pour ceux et qui ne se limite pas à la reprise du survet’ Lacoste et des lunettes Cartier. Si Gastambide invite du monde, que ce soit des acteurs, chanteurs ou comiques, ce n’est pas pour prouver la légitimité du film vis à vis de son sujet, mais pour le plaisir. On sent immédiatement que le long métrage a été mis en boîte dans un esprit familial et que tous les participants s’y sont éclatés.
On aurait pu croire que l’humour du film reprendrait les mêmes bases que celles de Jamel Debbouze, Omar & Fred ou Eric & Ramzy. Et paradoxalement, ce n’est pas du tout le cas. L’univers des Kaïra s’apparente plutôt à celui de la comédie américaine et à son nouveau fer de lance, le génial producteur et réalisateur Judd Apatow (En cloque mode d’emploi, Mes meilleures amies). Le récit suit d’ailleurs le même schéma narratif et ose un humour vulgaire qui ne fonctionne pratiquement jamais dans les comédies franchouillardes mais qui réussit ici à faire son effet. On lorgne plus du côté de Supergrave, une référence évidente jamais copiée, que de celui de Protéger et servir. Pendant la première partie, les blagues potaches sont très présentes et la subversion aussi. François Damiens fait une apparition étonnante et la séquence de la maison de campagne parvient à nous plier en deux.
Malheureusement, Les Kaïra finit par s’essouffler et les vingt dernières minutes sont un enchaînement de tous les clichés que l’on aurait aimé ne pas retrouver et le syndrome « Comédie française » revient nous mettre mal à l’aise. C’est dommage, car le film de Frank Gastambide aurait pu être une excellente surprise, et finalement le spectateur ressort mitigé et pas vraiment convaincu de la salle.
Les Kaïra est une comédie générationnelle qui en rebutera beaucoup mais qui bénéficie d’un scénario qui ne suit pas les rouages habituels et tire son inspiration du meilleur du paysage comique américain. Hélas, on attend encore une œuvre française anticonformiste totalement assumée et en décalage avec notre cinéma actuel, comme l’était l’excellent Steak, de Quentin Dupieux, qui révélait sous un nouveau jour le duo Eric & Ramzy.