Les crises financières ont toujours été un sujet propice aux adaptations hollywoodiennes. De très grands cinéastes tels que John Ford, Arthur Penn ou Charlie Chaplin ont abordé la Grande Dépression dans des films très différents comme Les raisins de la colère (1940), Bonnie & Clyde (1967) ou Les temps modernes (1936). Depuis la crise économique qui nous touche depuis environ quatre ans, on a vu pas mal d’œuvres traiter du sujet, notamment sous la forme du documentaire comme ce fut le cas avec Inside Job (2010) ou Capitalism : A love story (2009) de l’enragé Michael Moore. Certaines fictions, comme le pitoyable Krach (2010), le sympathique Company Men (2011) trop tourné sur les bons sentiments ou encore In the air (2009) avec le beau George Clooney ont aussi exploité le thème sous des aspects distincts.
Margin Call est donc une nouvelle exploitation cinématographique de cet effondrement économique. En quoi se démarque-t-elle de ses prédécesseurs ? L’originalité du film est de situer son récit quelques heures avant le début de la faillite. Lorsqu’un employé d’une grande banque d’investissement est licencié, il remet une clé USB à l’un de ses collègues sur laquelle de nombreux calculs sont détaillés. Lorsque ce dernier épluche tout le dossier et se rend compte du désastre imminent, il décide d’avertir ses supérieurs immédiatement.
Dans les premières scènes, on peut se dire qu’on va avoir droit pendant une heure et demie à des débats d’analystes financiers qui parlent dans une langue qui nous est inconnue et nous donnera envie de sortir de la salle pour un pipi d’une durée prolongée qui ne nous fera en aucun cas perdre le fil. Que nenni. Margin Call préfère se concentrer sur les comportements et les rapports humains. Au sein de l’entreprise, on découvre donc une galerie de personnages allant du bas au sommet de l’échelle hiérarchique dans laquelle chacun réagit différemment face à l’appréhension du futur de la société, mais surtout de leur propre situation.
Le réalisateur J.C. Chandlor débute son long métrage dans une ambiance de thriller et parvient à dresser un suspense, certes minime car on connaît déjà l’aboutissement de l’histoire. Puis, petit à petit, il bascule dans le drame, dans lequel les différentes motivations de chacun donneront lieu à des décisions qui pourront détruire les autres. On arrive même à se prendre d’affection pour certains et Chandlor ne tombe pas dans le piège de la présentation des méchants traders escrocs. Sans être manichéen, il réussit à travers leurs traits de caractère respectifs, comme l’intérêt pour l’argent du jeune cadre ultra ambitieux ou le cynisme sans limite du PDG, à dépeindre un environnement sans pitié dans lequel le but principal est d’être le meilleur et le plus rapide, même s’il faut pour ça trahir ou mentir. L’un des personnages dit à un moment du film : « Nous ne sommes pas en prison ». Phrase importante qui résonne durant tout le reste de l’oeuvre lorsque le spectateur découvre que tous ces employés se sont eux-mêmes passés les menottes. Cette impression d’étouffement, Chandlor la renforce en optant pour un huis-clos.
L’autre grande force de Margin Call, après sa subtilité et le talent de son réalisateur pour développer des axes dramatiques qui nous prennent par surprise est son casting. Tous les comédiens font preuve d’une sobriété exemplaire et s’échangent des dialogues ciselés et bien pensés. On redécouvre, entre autres, Paul Bettany (Master and Commander) ou Jeremy Irons (Une journée en enfer) qui retrouvent enfin des rôles à la hauteur de leur talent. Tous les interprètes représentent à merveille ces personnes qui exercent leur métier comme un sport dans lequel ils doivent renvoyer la balle au plus vite et doubler le concurrent à toute vitesse.
Sans être une attaque anticapitaliste bourrée de clichés, Margin Call est un long métrage réaliste duquel on sort lessivé. Ce ne sont pas les péripéties qui nous heurtent mais la force des échanges débités par des individus parfois sans morale, mais exposés d’une manière neutre qui prouve que Chandlor est un metteur en scène intelligent et un excellent directeur d’acteurs.