On le pensait révolu, le temps où Roman Polanski réalisait des polars manipulateurs qui baladaient le spectateur avant de le laisser essoufflé et effrayé. Evidemment, nous avions été touchés par Le Pianiste, porté par un Adrien Brody qui n’a jamais fait mieux depuis. Oui, Carnage et Oliver Twist étaient des exercices de style sympathiques mais beaucoup trop fades en comparaison avec des joyaux tels que Le couteau dans l’eau ou Répulsion. Puis l’autre jour, en fourrant la galette du Ghost Writer dans le lecteur, on ne s’attendait pas à être aussi emballés. A presque 80 ans, le cinéaste sait encore faire preuve d’une énergie impressionnante.
Lorsque le rédacteur de ses mémoires est retrouvé mort suite à une noyade, l’ancien Premier Ministre Adam Lang décide d’engager un nouveau nègre. Ce dernier s’engage immédiatement dans l’affaire et découvre peu à peu des éléments étranges sur le passé du politicien. Il va même jusqu’à remettre en cause le décès de son prédécesseur, qui aurait pu être éliminé pour avoir découvert des éléments compromettants.
Dès les premières minutes du film, Polanski s’amuse à questionner son spectateur en faisant vivre à son héros des événéments improbables. Le ton est donné d’entrée. Pendant deux heures, nous allons courir de mystères en mystères et découvrir jusque dans les dernières secondes des révélations totalement surprenantes. Et c’est exactement ce qu’il se passe. Polanski tient ses promesses. Il reprend une recette utilisée maintes et maintes fois et prouve qu’on peut encore la renouveler et y apporter sa touche. En nous amenant dans un paysage isolé, gris et vide, il renforce chez le spectateur la sensation de paranoïa que le nègre n’aura que plus tard.
Le personnage d’Ewan McGregor (Trainspotting) est très réussi car il est le seul à ne se méfier de rien, à se confier à son entourage louche qu’il ne connaît que depuis quelques heures. Ce n’est que lorsque sa vie est mise en jeu qu’il se rend compte de la gravité de la situation. Evidemment, il est bien trop tard pour éviter le danger. Dans le rôle de cet intellectuel passionné et naïf, McGregor est impeccable.
Mais le plus impressionnant, c’est l’ancien James Bond, Pierce Brosnan. Ambigu jusque dans sa dernière apparition, il trouve un rôle à contre-emploi qui lui va à merveille et grâce à son charisme habituel, il réussit à nous mettre en confiance malgré tous les éléments qui l’accablent. Est-ce lui, le politicien véreux qui tire les ficelles ? Ou n’est-il qu’une simple marionette dans un complot beaucoup plus gros ? Peut-être qu’il n’en est rien, et que le nègre a des hallucinations à cause de cet excellent scotch qu’on lui sert depuis son arrivée.
Polanski se lance dans le thriller politique mais n’est jamais moralisateur. Il évite tout manichéisme et son seul but est de dresser un suspense intelligent et réaliste. Il n’accable et ne fait de leçons à personne, ce qui est facilement le cas avec ce type de longs métrages. Des œuvres comme Greenzone ou Les marches du pouvoir en sont le parfait exemple même si elles sont loin d’être dénuées de qualités. Polanski apporte même une dose d’humour et d’ironie qui représentent non pas son détachement mais sa distance par rapport à la situation qu’il trouve lui-même absurde. Avec tous les débats qui ont eu lieu autour de sa personne, le réalisateur semble penser qu’il faut prendre un certain recul avec les affaires publiques. Il ponctue son œuvre avec une fin absolument magistrale, parfaitement cadrée et rythmée par les notes d’Alexandre Desplat (The Tree of Life). Evitant les habituels clichés, il offre à son public un excellent film de genre totalement maîtrisé, comme l’étaient Chinatown ou Rosemary’s Baby en leur temps.
Porté par deux interprètes au sommet de leur art et des seconds rôles brillants (Olivia Williams, Tom Wilkinson), The Ghost Writer est un thriller classique, sobre et terriblement classe dans sa réalisation. Polanski retourne à ce qu’il sait faire de mieux, c’est-à-dire perdre son spectateur dans une intrigue tordue remplie de twists inattendus.