A Hollywood, c’est la panne d’inspiration générale. Si un sujet est susceptible de rapporter des pépettes, on l’exploite et on en tire un film même s’il est complètement absurde (surtout s’il est complètement absurde). On balance des suites à tout va qui plombent des mythes (Die Hard 5), des spin off, des reboot et autres anglicismes qui malgré leur appellation hype ne sont que des produits réchauffés et périmés. Alors évidemment, après l’annonce de la mort de Ben Laden, les studios se sont battus pour obtenir les droits d’adaptation sur la chasse au leader d’Al Qaeda et nous nous attendions à un navet bâclé qui aurait fait passer Expendables 2 pour du Ingmar Bergman.
Fort heureusement, le projet est tombé entre de bonnes mains. Celles de Mark Boal et Kathryn Bigelow, le scénariste et la réalisatrice de Démineurs, une grosse claque toute en tension qui nous avait lessivés. Avec Zero Dark Thirty, ils réitèrent l’exploit et même si le long métrage est moins perturbant que leur première collaboration, il représente tout de même une formidable plongée dans l’une des affaires les plus controversées du début du XXIème siècle.
On y suit le personnage de Maya qui s’attaque avec l’affaire Ben Laden à sa première grosse enquête. Le film débute après les attentats du 11 septembre et la jeune femme n’est alors qu’une recrue de la CIA ambitieuse et déterminée. Petit à petit, au fil des années, sa motivation va se transformer en obsession. Froide et parfois antipathique, Maya n’emporte pas toujours l’adhésion du spectateur et en cela, le jeu de Jessica Chastain (The Tree of Life) est parfait. Ses réactions sont compréhensives mais parfois excessives notamment dans ses relations avec ses supérieurs. Sa quête bascule dans l’extrémisme. Maya ne souhaite plus arrêter Ben Laden. Elle veut simplement le tuer, pensant que faire tomber la tête du réseau l’affaiblira lourdement.
Avec ce protagoniste complexe et la présentation des membres de la CIA en général, Bigelow évite tout manichéisme et ne tombe jamais dans le piège des gentils américains sauveurs de l’humanité contre les méchants islamistes. Les soldats tuent des innocents sans réfléchir, les bureaucrates prennent des décisions préjudiciables et la torture est une étape obligatoire. A côté de cela, le long métrage reste un hommage à tous les membres qui ont participé à l’opération et la réalisatrice nous propose une mise en scène remplie de symboles parfois lourde à digérer.
La grosse qualité de l’œuvre est de garder un rythme constant et de ne jamais ennuyer son spectateur. En deux heures et demie, les péripéties sont nombreuses et l’on aurait même aimé en découvrir plus sur certains aspects évoqués rapidement. Les séquences d’action sont prenantes, spectaculaires et Bigelow est toujours aussi à l’aise pour faire monter le suspense. On retiendra bien évidemment la séquence finale réaliste qui a le mérite de ne jamais tomber dans la surenchère. On revient également dans le passé et l’on revit certains événements assez traumatisants comme les attentats de Londres toujours vus sous le regard de Maya fatiguée par toute cette violence mais maintenue en éveil par sa colère.
L’autre élément impressionnant de Zero Dark Thirty est son casting. Jason Clarke, vu récemment dans Des hommes sans loi, tient le deuxième rôle le plus important, celui du supérieur de Maya, un homme épuisé qui préfère rentrer gérer le conflit depuis Washington. Comme elle, il a sa part sombre mais elle est amenée intelligemment pour que l’on s’attache malgré tout à lui. Dans les seconds rôles, on retrouve des têtes connues comme Mark Strong (Sherlock Holmes), Joel Edgerton (Warrior) ou encore James Gandolfini (Les Soprano). Bigelow s’est payée l’une des plus grosses réunions d’acteurs de l’année et l’on sent bien que les comédiens ont conscience de l’importance du projet car cette page historique aura marqué à jamais les Etats Unis et le monde entier.
Zero Dark Thirty fait probablement partie de ce qui a été fait de mieux au niveau des longs métrages politiques de ces dernières années. Bigelow a une nouvelle fois su retranscrire l’intensité des situations, brillamment exposées dans un ordre chronologique classique mais particulièrement efficace. Remportera-t-il la statuette du meilleur film ? Réponse dimanche, mais en tout cas, la récompense ne serait pas volée et serait même plutôt logique vu l’importance du thème abordé.